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En finir avec le « Green Washing » - Fabrice Bonnifet




Fabrice Bonnifet est Directeur développement durable & QSE (qualité, sécurité, environnement) de Bouygues depuis 2007, et depuis 2016 président du C3D, le collège des directeurs développement durable.

Interview enregistrée le 31 mars 2020


Notes de l’épisode

2" – Présentation de l’association C3D - le collège des directeurs développement durable

  • Origines

  • Membres

  • Mission

5”30 – Selon vous, quels sont les enjeux de notre époque ?

  • « Arrêtons de nous mentir une fois pour toute, la croissance infinie telle que nous la calculons aujourd’hui dans un monde fini en ressources est mathématiquement impossible. Pourquoi faisons-nous encore semblant d’y croire ? »

  • La croissance infinie est mathématiquement impossible car la base du business ce sont les ressources, notamment énergétiques, que l’on transforme ; ressources qui sont disponibles en quantités finies sur la planète

  • De l’importance d’inventer une autre forme de croissance : être profitable tout en ayant un impact nul sur ces ressources

7”50- Le rôle des directeurs du Développement durable et RSE

  • « Ils ne doivent plus être simplement les gentils lanceurs d’alerte, ou les bouffons bienveillants des directions générales, ou encore l’alibi de l’inaction chronique, du green washing ou des démarches anecdotiques et superficielles »

  • Au vu des enjeux, il faut réformer et non juste faire mieux que ce qu’on a toujours fait.

  • Deux manières d’agir

    • en militant à l’extérieur des organisations

    • à l’intérieur des organisations et cela est plus efficace si c’est fait avec une approche positive

  • Convaincre les directions générales qu’une autre voie est possible, et non pas se contenter de faire moins mal les choses ou se contenter d’être conformes à des régulations qui sont très en deçà des besoins pour éviter les problèmes de demain.

  • Donc pas faire moins mal mais différemment. Pour cela il ne porte pas forcément les solutions mais pose les questions aux directions générales et opérationnelles afin de les aider à envisager leur travail autrement.

10"35 - Quel est le réel niveau de maturité des entreprises sur ces enjeux ?

  • Les entreprises elles-mêmes savent que ce modèle de développement ne pourra pas durer, pourtant elles ne font rien, pourquoi ? Deux raisons

  • Nécessaire besoin d’explications sur les enjeux

    • Surtout ils pensent qu’on a le temps (on peut commencer demain) aussi il y a tellement d’inertie, de freins, de difficultés que malgré la conscience de ce qui se passe beaucoup de dirigeants reportent à demain des décisions plus radicales pourtant nécessaires.

  • « Le problème du changement climatique est qu’il est trop rapide par rapport à la capacité des écosystèmes à s’adapter mais il est trop lent par rapport à des décisions radicales qu’on devrait prendre si on était lucide sur la façon dont les choses vont évoluer. Donc c’est un double paradoxe qu’il faut pouvoir gérer. »

12"45 – De l’urgence à définir un nouveau projet de société, basé sur la préservation des communs et la lutte contre le réchauffement climatique.

  • « Les entreprises ne gagnent de l’argent que parce qu’elles ont capacité à transformer des matières premières avec de l’énergie »

  • Le souci : le système est tellement inefficient aujourd’hui qu’en faisant cela on crée beaucoup de valeurs matérielles (pour les actionnaires, pour les clients) mais aussi beaucoup d’externalités négatives (des sous-produits de l’activité industrielle qui sont toxiques pour l‘équilibre naturel de la vie)

  • L’enjeu : produire des biens matériels et des services en étant en symbiose avec ce que la nature est capable de produire et de digérer en matière de pollution.

  • La solution : les entreprises contributives devront mettre en place des boucles de rétroaction et s’aligner avec ce que les écosystèmes peuvent produire et digérer => le projet d’une prospérité sans croissance de flux physique mais dans le bien-être ressenti par les individus.

    • Ce n’est pas retour au moyen-âge ou à la bougie

    • C’est maintenir ce qu’il y a de meilleur dans l’approche industrielle d’aujourd’hui et le réaligner par rapport à des enjeux de conservation des communs

  • « La bonne nouvelle : dans pratiquement tous les domaines, excepté peut-être l’aviation civile, il y a des solutions. »

17" – Le but premier d’une entreprise est de faire du profit, impératif de plus en plus à court terme, cet objectif est-il compatible avec des enjeux à longs termes de développement durable ?

  • Une entreprise doit gagner de l’argent pour investir, se développer, payer ses collaborateurs…. Et ne pas disparaitre.

  • Entreprise profitable peut rimer avec entreprise durable, sous certaines conditions, comme accepter des rentabilités plus raisonnées.

  • Cela pose le problème de la comptabilité des entreprises. Pas seulement comptabiliser ce qu’on gagne, mais aussi ce que l’on doit comme les matières premières prises à la nature.

  • Proposition : mettre en place une comptabilité du triple capital = intégrer dans les comptes la réalité du cout environnemental

    • Si l’entreprise utilise un arbre pour son business, elle doit avoir provisionné dans ses comptes l’argent pour planter un autre arbre et lui laisser le temps de pousser.

    • Si la ressource est non renouvelable, comment l’entreprise met en place une boucle circulaire pour éviter d’aller en permanence chercher dans la nature des matières premières vierges ?

22" – A quel niveau se joue la révision de cette norme comptable, afin d’intégrer dans la comptabilité des entreprises la déplétion des ressources ?

Les acteurs ?

  • Plusieurs think tank en France et aux États-Unis, la France étant plutôt leader avec notamment deux grands mouvements : Jacques Richard, a écrit dès 2012 « La comptabilité du développement durable » qui présente la méthode Care (peu ou prou les fondements de la comptabilité du triple capitale)

  • Commission Européenne : des travaux en cours afin de formaliser des directives qui inciteraient les entreprises à faire évoluer leur reporting extra financier. De l’importance de ne plus être simplement quantitatifs, mais aussi prendre en compte ce que l’entreprise devrait faire pour utiliser ces ressources de manière plus responsable

L’enjeu ? Mettre en place la norme comptable du XXI siècle

  • Celle qui donnera à chaque entreprise une réalité et une visibilité sur ses impacts réels et sur la façon dont elle va devoir faire évoluer son modèle pour prendre en compte cette déplétion des ressources et donc survivre à long terme.

  • C’est un travail considérable que de faire évoluer cette comptabilité classique, mais il y a déjà des études pilotes dans certaines entreprises

  • Une difficulté majeure est le maintien de la rentabilité. Dans les faits, celle-ci ne peut plus être évaluée de la même manière : il faut faire pivoter les modèles d’affaire actuels vers des modèles contributifs, très circulaires, basés sur la fonctionnalité

26"20 – Une entreprise peut-elle changer elle-même les règles du jeu sans perdre des parts de marché ?

  • Certes ce serait plus simple et plus rapide avec une régulation imposée à toutes les entreprises (évite la distorsion de concurrence).

  • Toutefois, des entreprises pionnières dans ce domaine tirent profit d’une approche atypique qui fait confiance à la maturité des clients : Patagonia par exemple

  • Objectif est justement que les entreprises contributives gagnent des parts de marché sur les entreprises qui ne le sont pas => favoriser que d’autres les suivent, ringardiser celles qui resteront dans le cynisme, et donc aller plus vite dans le bon sens.

30"45 – Qu’est-ce que l’entreprise contributive ?

  • Source d’inspiration : Prosperity without Growth de Tim Jackson

  • Blog tenu par Fabrice avec son co-auteur Céline Puff Ardichvili : https://entreprisecontributive.blog/

  • La prospérité est infinie en termes de connaissances, de bien-être, ... pas en termes matériels. Car l’essentiel de la croissance est corrélé à notre capacité à utiliser des flux énergétiques surtout fossiles. Or contrairement aux idées défendues par certains économistes, c’est la capacité à utiliser l’énergie disponible qui a permis de développer la croissance, et non la croissance de l’économie qui a généré la consommation d’énergie. Cf les courbes montrant la corrélation entre extraction des ressources et croissance de Jean-Marc Jancovici

  • Du coup si on a moins d’énergie, comment fait-on pour maintenir notre confort matériel ? Solution : renverser les paradigmes économiques en mettant en place des approches itératives (on ne passe pas de l’ancien au nouveau modèle en une fois), avec comme règle numéro 1 : prendre en compte ce que disent les scientifiques. Et notamment : dans un mode à 1,5 degré au-dessus de ce qu’était le climat il y a 150 ans le monde sera encore vivable, pas à 2,5 degrés.

35" – Comment une entreprise comme Bouygues peut avoir un moindre impact environnemental ?

  • Le concept building BHEP : le bâtiment hybride à économie positive. Avec 6 leviers d’actions, dont

    • Augmenter l’intensité d’usage : que l’usager principal accepte des usagers secondaires quand lui n’en a pas besoin. De ce fait les bâtiments sont plus utilisés et on a besoin de construire moins de bâtiments.

    • Construire des bâtiments à énergie positive : les bâtiments sont jusque-là consommateurs de flux physique. Objectif : construire des bâtiments qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment.

  • Ces solutions sont non seulement fonctionnelles en termes techniques et écologiques mais aussi plus rentables d’un point de vue économique. Ce qui peut nous laisser espérer que la dynamique autour de ces solutions s’accélère bientôt.

39"20 –que dire aux jeunes qui ne se reconnaissent pas dans les entreprises actuelles ?

  • Formez-vous aux nouveaux modèles en sciences économiques et sociales car ils sont très peu enseignés.

  • Agissez dans les entreprises et non en dehors afin d’être plus efficaces.

  • Travaillez dans l’intérêt de l’entreprise, à savoir des solutions permettant de gagner plus d’argent de façon plus responsable

Les recommandations de Fabrice



- Un grand merci à Véronique RAOUL pour la rédaction de ces notes -


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