Julien (l’hôte de Sismique) fait le point sur le podcast
Cela fait 6 ans que j’enquête activement sur l’état du monde, et 3 ans et demi que j’interviewe des personnalités remarquables pour mon podcast,.
Forcément on me pose souvent la question de ce que je retiens, de ce que j’ai appris, et je suis donc amené à donner mon propre point de vue sur la marche du monde, et sur ce qui se joue en ce moment et dans les années à venir.
Je me suis donc dit que j’allais vous parler directement, sans personne en face à qui poser des questions, pour partager mon retour d’expérience et mon point de vue.
Je pensais faire court, et finalement cet épisode « hors-série » dure 50 minutes, comme quoi j’avais des choses à partager… :)
Je prends le temps d’y clarifier un certain nombre de choses sur mon cadre d’analyse, sur ma méthode, sur ce que représente la pensée systémique dans ma démarche, et je vous propose une sorte de synthèse de ces centaines d'heures de recherche.
Pas facile pour moi de me livrer un peu plus, mais l’exercice a été très intéressant et j’espère que vous pourrez en tirer quelque chose de nouveau.
Julien
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Transcript
Hors série - 3ans
Bonjour à toutes et à tous.
Ceci est un épisode à part, je ne sais pas si on peut appeler ça un épisode et c’est pour ça que je le classe en hors-série, vu que je n'interviewe personne et que ce n’est que moi qui vais vous parler.
Si c’est la première fois que vous écoutez Sismique, ceci n’est donc pas du tout représentatif du podcast et je vous invite à commencer par écouter n’importe quel autre épisode dans lequel je pose des question et où c’est quelqu’un d’à priori très intéressant qui me répond.
Je me suis simplement dit que ça pouvait être sympa de faire un petite point d'étape après Dennis Meadows, qui a influencé tellement des invités précédents, après 3 ans et demi, après plus de 80 interviews et plus de 3 millions d’écoutes, ce qui pour moi est un marqueur important.
Un point d'étape donc, comme une courte respiration au milieu de ce que je présente depuis le début comme mon enquête personnelle sur le monde .
D’abord je vous rappelle ce qu’est Sismique et qui je suis
Je suis Julien Devaureix, j’ai 40 ans, je suis français, je suis marié, j’ai 2 petites filles. J’ai grandi en région parisienne, j’ai fait une grande école de commerce, j’ai travaillé pendant 15 ans pour des grands groupes internationaux, a Paris, au Brésil et à Hong Kong, je vis aujourd’hui à Lisbonne je me consacre désormais à ce projet de podcast et plus largement de recherche.
Sismique est un podcast l'interview pour tenter d’y voir plus clair sur les grands enjeux de notre époque dans un monde en mutation profonde et rapide. C’est mon enquête personnelle sur ce qui est en train de se passer et ce qui risque de se passer demain, avec pour idée de réfléchir à comment vivre ma vie et quoi faire de tout ça.
Parce que pour rappel ce podcast est et reste un projet personnel et totalement indépendant.
Ce sont bien-sur des personnalités qui sont invitées à mon micro à s’exprimer et à partager leur analyse et leur point de vue sur tout un tas de sujets, mais Sismique c’est aussi le reflet de mes propres questionnements sur notre monde et notre époque, le reflet de ma propre curiosité, de mes propres angoisses certainement aussi, si je suis honnête, et évidemment le reflet de mes biais, de mes angles morts, etc… Parce que oui, il y a des biais; dans le choix des sujets, le choix des invités, dans les questions que je pose, et certains biais sont conscients et d’autres moins, et en fait ce n’est pas grave puisque le but pour moi n’est pas d’établir une vérité absolue.
Évidemment si je fais tout ça c’est que je souhaite y voir plus clair sur ce qui nous arrive collectivement, et c’est d’ailleurs la promesse originelle du podcast : comprendre ce que demain nous prépare et nous y préparer.
Mais j’ai aussi parfaitement conscience qu’il est impossible de prévoir clairement ce qui va nous arriver, comment notre monde, notre société, notre vie va évoluer, et même impossible de vraiment comprendre comment notre monde d’aujourd’hui fonctionne.
Si je vous parle de ça c’est parce qu'après des années à creuser, à lire des tonnes de contenu, à poser des questions à toutes ces personnes, je suis amené à m’exprimer, dans des conférences, devant des étudiants, des comités de direction, ou simplement à des diners entres amis, sur ce que je perçois des grands enjeux et des grandes dynamiques actuelles.
Et donc je suis amené à essayer de formaliser des réponses à peu près intelligibles et si possible pas trop à côté de la plaque, parce qu’il y a forcément une certaine attente et parce que sinon on ne m’invite plus.
Donc c’est un peu l’objet de cette petite intervention, vous dire en quelques mots où j’en suis de ma réflexion personnelle, de cette enquête.
C’est pratique pour moi parce que j’enverrai cet épisode à ceux qui me posent des questions sur mon retour d'expérience , et ça peut être intéressant pour vous si vous avez déjà écouté quelques interviews puisque je fais donc ici un petit bilan.
OK, je me lance.
La première chose à comprendre selon moi, et vous pourrez peut-être me dire que c’est une manière de ne pas trop prendre de risque, c’est que le monde est bien trop complexe pour qu’on puisse justement le comprendre. D'où cette phrase que j’ai ajouté sur le logo de Sismique il y a quelque temps : « le monde change, et on n’y comprend rien ».
C’est pour moi un postulat de départ nécessaire, parce que d’une part, ça permet de se détendre un peu face à cette ambition folle de vouloir expliquer le monde, de vouloir le décrire dans sa globabilité: donc en gros, on va parler de ce qui se passe, de ce qu’on voit, de ce qu’on pense être le RÉEL (avec un R majuscule), mais on ne va pas trop se prendre au sérieux malgré tout puisqu’on a en tete que de toute façon, que quoi qu’on fasse, on comprendra certes mieux ce qui nous entoure, mais jamais vraiment et complètement.
Et d’autre part, cette posture me ramène à une certaine valeur d’humilité.
Cette phrase « on n’y comprend rien » me rappelle que quel que ce soit le sujet que je regarde, ce n’est qu’un petit bout d’un ensemble plus vaste, que quelle que soit la personne à qui je parle, son analyse, ses opinions, aussi scientifiques et informées soit-elles, ne couvrent qu’un petit coin du monde, et que par ailleurs bien souvent, je pourrai trouver une autre personne, aussi informée, aussi intelligente qui n’aura pas tout à fait le même regard sur ce même petit coin.
Parce que c’est le problème avec la connaissance, elle est forcément partielle et elle n’est jamais finie, même si évidemment je pars du principe que certaines personnes comprennent mieux le monde que d’autres, et c’est bien pour ça que je veux leur parler.
Mais donc première chose : on ne peut pas vraiment connaître le monde, il nous échappe, et certainement nous échappera toujours.
Je développe un peu le sujet, parce que cette affirmation a énormément d’implications pour moi.
Dire qu’on ne peut pas voir le monde comme il est vraiment, ce n’est pas dire qu’on ne peut pas « mieux le voir ».
Quand Platon fait dire à Socrate « je sais que je ne sais rien », l’idée n’est pas de désespérer en nous disant « à quoi bon ! Si le réel nous échappe, à quoi bon chercher à le comprendre. ».
C’est au contraire une invitation à prendre conscience du fait que bien souvent on croit savoir, alors qu’en fait non.
Et donc c’est une invitation à mieux penser, à mieux observer, et à philosopher, mais en commençant pas nous séparer de cette illusion de connaissance et en partant d’une base solide qui est ce constat indéniable d’ignorance; comme une sorte d’axiome de départ sur lequel on va pouvoir construire quelque chose.
L’idée est de progresser vers une forme de connaissance, mais en étant dans une posture permanente de remise en question, d’humilité donc, et forcément aussi d’écoute et d’ouverture, puisqu’aucune de nos opinions ne peut-être fondamentalement et définitivement figée.
Avoir ça en tête, avoir ça comme socle, je me rappelle que quand je parle à quelqu’un, ou quand mes propres opinions se forment, je ne fais toujours que regarder un partie du monde donc, et aussi qu’on ne fait toujours que regarder cette partie au travers de nos propres lunettes, forcément teintés par tout un tas de chose comme notre histoire personnelle, notre inconscient, notre culture, notre genre, notre génétique… etc.
Et d’ailleurs la plupart du temps, on ne regarde même pas au travers de ces lunettes, on regarde nos propres lunettes et on ne voit plus les choses. On se regarde le nombril en gros.
C’est pour ça que souvent, je pose cette question à mes invités en ouverture : « quelles sont les lunettes que vous portez pour regarder le monde? ». Autrement dit, quel est votre sujet d’étude, votre spécialité, mais aussi indirectement, qu’est ce que vous ne voyez pas, quels sont vos angles morts.
Cette question me permet de rappeler aux auditeurs et aussi à l'invité d’ailleurs, que nous n’allons pas passer une heure à énoncer des vérités absolues, et elle me permet aussi d’orienter les questions qui suivront pour me concentrer sur que mon interlocuteur sait et peut m’apprendre, ou ce qu’il ne voit pas et qui peut aussi nous éclairer sur son raisonnement.
Voila donc une idée de départ importante pour moi : on ne sait pas grande chose, et pourtant on est persuadés bien souvent d’avoir tout compris.
Je passe un peu de temps à vous parler de ca, parce qu’à force de discuter de sujets spécifiques, comme le climat, l’énergie, ou des sujets technologiques, politiques, etc… j’en suis arrivé à la conclusion qu’il y avait beaucoup de dynamiques importantes et beaucoup d’enjeux pressants, mais qu’aucun de ces enjeux n’avaient une chance d’être adressé correctement si on ne rend pas compte d’abord à la fois de leur incroyable complexité, mais aussi de notre incroyable ignorance, et ce alors même qu’on est incroyablement convaincu d’avoir tout compris.
Et c’est peut-être ça la mission de Sismique in fine, s’il en faut une : si je veux convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit, c’est d’une part qu’effectivement le monde change, que les enjeux sont énormes et que très probablement qu’on doit s’attendre à des secousses (d'où le nom du podcast), et d’autre part et peut-être surtout, qu’il est urgent de nous entendre, de nous écouter, de poser les bonnes questions et de nous remettre en question.
Sur cette question de la connaissance, une conversation en particulier m’avait beaucoup apporté, c’est celle avec Franck Lopvet, vous pouvez retrouver dans l’épisode 29. C’est d’ailleurs de loin l’épisode qui a eu le plus de succès.
Ok, donc, « je sais que je ne sais rien ».
Ça devrait être le point de départ en quelque sorte de tout dialogue constructif, sachant que sans dialogue, on n'avance pas grand chose.
Mais évidemment ça ne s'arrête pas là, et voici pour ma part comment je vois les choses, enfin en tout cas comment j’essaie de structurer ma démarche.
Donc première étape : on conscientise notre propre ignorance et le niveau de complexité du monde
Ensuite 2/ on essaie de comprendre les mécanismes qui nous maintiennent dans cette ignorance ou dans notre incapacité à dialoguer.
Et 3/ une fois qu’on a pris du recul la-dessus, on peut essayer de décomplexifier le monde, en développant notre connaissance de certaines parties, de certains sujets et en les croisant grâce à une approche systémique.
et pour finir 4/ quand on a conscience de nos lunettes, de celles des autres, de ce qu’on regarde, de quelle manière on le regarde et qu’on commence a avoir une vue un peu plus objective et instruite des phénomènes, des dynamiques et des questions fondamentales, on peut commencer à imaginer des actions et une manière d’agir; et sans penser pour autant qu’on a trouvé LA ou LES solutions. D’ailleurs je ne crois pas aux solutions, je pense que ce ne sont pas des solutions dont on a besoin, ce sont des essais, des tentatives, des expérimentations… Le solutionnisme fait partie de ce qui nous empêche de bien voir, mais je vous en parlerai un peu plus tard.
De même que je vais vous parler de systémie ou de penser systémique puisque c’est aussi quelque chose de central dans ma démarche.
Je vous dis 2 mots avant ça sur ce point 2 que je viens d’évoquer, puisque ça fait partie des sujets sur lesquels j’enquête et sur lequel j’ai interviewé des gens : qu’est-ce qui nous maintient dans l’ignorance ? Pourquoi on n’y comprend rien ?
D’abord, même quand on se rend compte de notre ignorance de la plupart des choses, à chaque instant on pose des choix, individuellement et collectivement, sur ce que l’on pense devoir faire : Est-ce que je tourne a droite ou à gauche, est-ce que je mets un slip ou un caleçon, un pantalon ou une jupe, est-ce je que voté pour elle ou lui, est-ce qu’on investit dans le nucléaire ou l’éolien…
Il faut donc à un moment qu’on s’arrête sur une interprétation du monde, et c’est toujours au final ce qu’on fait, qu’on le veuille ou non. Alors comment on fait ça.
Parfois cette interprétation est fondée sur des choses qu’on estime assez évidentes, voire totalement objective. Parce que ce sont des observations qu’on a pu faire et qui nous paraissent difficilement contestables et donc parfaitement fiables.
Par exemple, j’ai remarqué que si je saute, il y a de très grandes chances pour que je retombe. Et même si je ne connais pas les équations qui expliquent ce phénomène physique, je sais que je peux me fier à mon expérience. Si je mets mon doigt dans l’eau bouillante, je me brûle, si j’oublie de donner a manger a ma fille, elle hurle.
On voit tous l’idée…
Parfois notre interprétation découle plus subtilement de ce qu’on va appeler l’intuition.
C’est moins objectif mais ça nous aide tout de même à faire des choix.
Ça repose sur un savant mélange d’expérience plus ou moins consciente, sur une sorte d’instinct, sur nos émotions et sur nos croyances, sur notre humeur.
C’est notre intuition qui nous fait parfois nous écarter d’un danger imminent, qui nous fait choisir un partenaire amoureux…
Et d’ailleurs en fait, l’essentiel de nos choix, y compris certains des choix les plus importants, reposent sur cette intuition bien plus que sur une objectivité que souvent on fantasme plus qu’autre chose. On post-rationalise la plupart de nos choix parce qu’on n’aime pas cette idée, mais si on est honnête, on fonctionne le plus souvent au « feeling ».
Et puis d’autres fois notre interprétation du monde et donc nos choix qui en découlent sont fondés sur ce qu’on peut appeler des tiers de confiance.
Je choisis par exemple de faire confiance à ce qu’on me dit de certains faits historiques ou de faits dont je ne suis pas témoin direct. Le fameux « je ne crois que ce que je vois » ne s’applique quasiment jamais, et heureusement.
Je n’étais pas né en 1969 quand Armstrong et Aldrin ont marché sur la Lune, mais je décide de croire que cet événement a eu lieu. Je fais confiance aux astronautes qui en sont revenus, confiance aux équipes de la NASA, confiance à ce qu’on en dit.
Je n’étais pas à NYC le 11 sept 2001, je décide de croire que ce que j’ai vu a la télé n’était pas de la fiction. Et je décide de croire ou non ensuite l’explication que l’on donne des événements.
Je ne peux pas vérifier que la Terre est bien ronde, je ne peux pas faire moi-même les calculs, mais je décide non seulement de croire en la science mais aussi en la communauté scientifique.
Si je me suis fait vacciner contre le Covid, c’est que j’ai décidé de faire confiance aux politiques, à une autre communauté scientifique mondiale, aux labos, aux média, etc…
On est obligé de faire confiance à des sources, à des gens, à des informations.
Et d’ailleurs, l’exercice que je fais avec ce podcast est en lien avec ça, ces personnes que je rencontre et dont je diffuse les propos changent ma vision des choses et parfois votre vision des choses, parce que vous décidez de faire confiance à ce qu’ils racontent, ou non d’ailleurs.
Vous voyez l’idée je pense mais pas forcément encore ou je veux en venir…
Nous sommes amenés à interpréter le monde, et on le fait tous les jours.
Rien de nouveau donc mais notre époque est marquée spécifiquement par 2 grands défis en lien avec notre capacité à pouvoir interpréter le réel.
Le premier est que notre monde déjà complexe se complexifie encore davantage, et à très grande vitesse.
Le deuxième est que notre capacité à faire sens d’une part, et à agir d’autre part, fait face à des défis inédits.
Alors, notre monde se complexifie. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Quand je donne des conférences qui sont supposées ouvrir les yeux et faire réfléchir à ce qui nous attend, je commence en général par montrer quelques courbes qui ont toutes une trajectoire qui pour moi seule pourrait définir notre époque… je montre des exponentielles.
Partout ou on regarde, on peut constater une accélération faramineuse du rythme des changements, ce qui fait dire d’ailleurs à certains penseurs que nous sommes à l’ère de la grande accélération, ou à l’ère des exponentielles donc, ce qui veut dire à peu près dire la même chose.
Et ca change en fait tellement vite que nous serions même sorti de ce qu’on appelle la « normalité » pour entrer dans la « post-normalité », c’est à dire un monde dans lequel il est devenu quasiment impossible de faire des prédictions, et dans lequel les événements dits « anormaux » se multiplient et où tous nos repères sont en train de voler en éclat.
On parle de signes noirs, qui sont des événements que personne n’avaient vu venir, mais aussi d’éléphants noirs qui sont des risques connus mais qu’on est incapables d’adresser ou encore de méduses noirs, qui sont des phénomènes connus mais qui peuvent prendre une tournure totalement inattendus lorsque des points de bascule ou de rupture sont dépassés.
Je pense que j’ai besoin de vous citer des exemples, on est quand même assez nombreux à avoir été étonné de tout ce qu’il s’est passé ces 2 dernières années dans le monde, quel que soit le sujet qu’on regarde.
Et le problème c’est que nous sommes incapables de penser ou du moins de traiter une vitesse exponentielle de changement, car notre pensée est linéaire et nos institutions fonctionnent sur un mode linéaire.
Et donc on est dépassés, et un peu perdus, et certainement bien plus qu’on veut bien le dire.
Donc en gros, et c’est normal, c’est compréhensible, logique même, on n’y comprend de plus en plus rien; le niveau d’instabilité augmente, et en plus le niveau de risque de notre environnement augmente.
Et une des tâches à laquelle je m'astreins avec Sismique est de regarder ce phénomène de complexification et d’accélération afin de voir ce qu’ils impliquent. Et j’y reviendrai dans quelques minutes.
Donc 1/ le monde devient plus difficile à comprendre, et 2/ notre capacité à le comprendre diminue.
Je développe ce 2e argument
Pour interpréter le monde et prendre des décisions, nous utilisons notre expérience, notre intuition et des tiers de confiance.
Il m’a semblé intéressant et il me semble toujours intéressant, pour qui veut comprendre les enjeux actuels, de s’attarder sur comment on regarde les choses, puisque c’est à partir de là qu’on agit.
Ça vaut au niveau individuel et au niveau collectif, ce qu’on décide de faire, nos choix, découlent de notre compréhension des dynamiques et de phénomènes.
Mais ce que j’ai commencé à comprendre grâce à Sismique c’est à quel point en fait on est assez mauvais pour observer le monde, mais aussi mauvais pour nous observer nous mêmes et comprendre pourquoi on fait ce qu’on fait, pourquoi on décide d’agir de telle ou telle sorte.
J’ai déjà fait quelques épisodes la -dessus dont je vous rappelle les thématiques centrales
sur le fonctionnement de notre cerveau et notre capacité à bien juger. On en parlé dans les épisodes notamment avec Olivier Sibony, Thibaud Griessinger ou Mehdi Moussai
sur la manière dont on nous consommons l’information, le rôle des media, des réseaux sociaux > par exemple Les épisodes avec Anne-sophie Novel, Flore Vasseur sont éclairants
sur notre rapport à la science et aux faits, le rôle de la raison ou de l’intuition, le rôle des émotions > Je pense aux épisodes avec Thomas Durand, Jean-Pierre Goux, Clair Michalon
Je n’ai évidemment pas fait le tour de cette question essentielle, mais la conclusion à laquelle j’en suis arrivé pour le moment, et donc elle n’est pas définitive, c’est que nous avons actuellement plusieurs graves problèmes par rapport à cette idée de connaissance et de choix.
D’une part nous sommes structurellement mal équipés pour bien connaître vraiment le monde et pourtant nous avons développé une forme d’arrogance qui parfois nous aveugle.
Ca rejoint en partie ce que j’ai évoqué en introduction, ça rejoint des question métaphysiques et philosophiques vieilles comme le monde et ça fait donc partie de ma quête de savoir et même de sens.
Il me manque des connaissances sur le cerveau, sur la conscience, sur l’inconscient, sur les différentes sagesses qui ont travaillé à ces questions depuis des siècles, sur la nature du réel, et ce sont des sujets que je compte bien explorer dans les mois à venir.
Mais il me semble que notre culture moderne mondiale, devenue essentiellement matérialiste, structuraliste, utilitariste, ne nous aide pas forcément à faire face à toute cette complexité, malgré ce qu’on pourrait penser.
C’est pour l’instant une simple intuition donc je ne m’étends pas.
D’autre part, et c’est un mouvement amorcé il y a quelques décennies, nous avons glissé doucement mais sûrement vers une culture de l’ignorance au point que l’on parle parfois de l’ère de « post-vérité ».
Les médias, les réseaux sociaux, et même parfois la machine scientifique elle-même puisque la science ce sont aussi des institutions humaines et donc imparfaites, sont devenus ce qu’on appelle des « fabriques d’ignorance ».
L’économie de l’attention, c’est à dire cette valorisation marchande de notre attention, a favoriser à la fois l’émergence de contenus de désinformation, d’abrutissement même, la création et la propagation de fausses-nouvelles, en même temps que sont apparus des bulles, des caisses de résonances qui rendent impossible toute confrontation sereine d’opinions et la tenu d’un débat intelligent et constructif.
En même temps, le volume d’information a explosé, il y en a trop et ça va trop vite pour qu’on puisse en tirer quelque chose, et on ne sait plus quoi croire.
Et certains de nos tiers-de confiance dont je parlais tout à l'heure qui nous permettent de faire sens du monde sont devenus de plus en plus douteux, et donc on doute.
Et même quand ces tiers restent fiables on s’est mis malgré tout à douter d’eux, parce que finalement comment savoir… La confiance a été ébranlée, parfois de manière méritée, et donc la confiance disparaît partout et pour tout.
Ainsi même les faits et la science sont devenus en apparence sujets à interprétations, tout est devenu relatif, tout est discutable et discuté et hélas souvent mal discuté, c'est-à dire sans possibilité de s’entendre.
En résumé, le monde devient de fait plus complexe, les risques augmentent, les adresser demande un grand niveau de connaissance, de recul, d’intelligence et de consensus, et dans le même temps notre capacité à être collectivement intelligent, a débattre, a s'écouter et à s'entendre pour obtenir un consensus et agir ensemble à l'échelle qui conviendrait, cette capacité s’est considérablement effritée.
La catastrophe écologique est là, la menace climatique est bien connue et évidemment gigantesque, les risques liés à l'exponentielle technologique sont imminents, la crise énergétique arrive, et en même temps, les démocraties ne fonctionnent plus correctement, les institutions internationales se délitent, les masses sont ici mises sous-contrôle, là volontairement hypnotisées ou même manipulées et les chances de perdre la main sur notre destinée commune augmentent un peu plus chaque jour.
Sombre tableau donc.
C’est celui que je peins pour le moment, sans pour autant perdre espoir et d’ailleurs, je ne suis pas sûr que l’espoir soit le sujet, ni même l’optimisme ou le pessimisme. Mon idée est de peindre le tableau le plus clair possible et c’est déjà beaucoup.
Encore une fois, je ne me donne ni la mission de montrer une quelconque vérité, ni la mission de trouver des solutions, et je me méfie des « il faut ». Je mène mon enquête personnelle, je la partage et je laisse à chacun en faire ce qu’il veut.
Comme je vous l’ai dit, je me débats suffisamment avec l’idée de complexité, d’ignorance et de connaissance pour prétendre pouvoir prescrire à qui que ce soit des actions.
Si, UNE prescription que je répète, comme ça j’aurai fini de me contredire : doutez, écoutez, commencez par vous connaître et essayez de comprendre ce qui vous fait agir. Mais en soi, rien de bien nouveau donc.
Bon, c’est beaucoup plus long que prévu, mais maintenant que j’y suis je continue. ..
Donc on a compris qu'il n'y comprenais pas grand chose, et qu’il y a des raisons à ça : le monde s’accélère, se complexifie et c’est par ailleurs devenu encore plus difficile qu’avant pour la plupart des gens de faire le tri dans cette masse d’information qui nous arrive dessus chaque jour d’autant plus qu’elle est en partie faite pour nous hypnotiser.
J’enchaine…
Je vous parlais tout à l'heure de l’idée de mieux voir le monde pour pouvoir un peu mieux en faire quelque chose.
Pour ce faire, on est obligé de découper les choses en sujets, de compartimenter. Et c’est ce que je fais avec mes épisodes.
Mais je crois intéressant aussi d’adopter ce qu’on appelle une approche systémique, c'est-à- dire de faire des liens entre tous ces sujets qui a priori sont traités séparément.
Je vous dis donc quelques mots sur ce que je comprends de cette approche et sur comment je m’en sers.
Penser en système c’est d’abord se rappeler que tout ce qui nous arrive se passe sur Terre, et que notre planète est un grand système complexe, très complexe même, qu’on peut considéré comme quasiment fermé, même si en fait pas vraiment vu notre énergie dépend du soleil, qu’il y tout un tas d’interaction avec l’extérieur via la gravité notamment, mais bon vous voyez l’idée. On simplifie.
Et à l'intérieur de ce grand système, on trouve, le vivant, les ocean, l'atmosphère, qu’on peut aussi étudier comme des systèmes en eux-même puisqu’ils ont leur propre dynamiques, et on trouve la civilisation humaine faite de milliards d’individus qui chaque minute font des choix autonomes, et faite des villes, de nos technologies, de notre modèle économique, de tous nos réseaux…
Et tout cela bouge en permanence, plus ou moins vite, et est plus ou moins stable, tout cela s’influence, s’impacte, et ça donne au final ce qu’on peut appeler l’Histoire du monde si on regarde le temps comme ayant une direction.
Penser comme ca c’est a la fois se rendre compte qu’on peut tout étudier comme un système en soi ce qui permet de comprendre des dynamiques, de prévoir des choses, etc, mais aussi et surtout de ce rendre compte des connections, des interdépendances entre chaque élément du réel.
Il est évidemment impossible de décrire correctement un système aussi complexe que notre planète, ou même notre civilisation, ou même le cerveau humain dont on commence à peine à comprendre le fonctionnement, mais on peut tout de même progresser dans cette démarche.
Par exemple, a force d’agréger des données, a force d'expérience et d’observations, a force de calculs, on commence à pouvoir modéliser le climat, ou plutôt on commence à en comprendre certaines grandes dynamiques qui nous font dire aujourd’hui avec un grand niveau de certitude qu’il y a un lien entre les émissions carbones humaines, l’effet de serre, et tout un tas de phénomènes. Et pour simplifier on a appelé ça le réchauffement climatique ou changement climatique, ou même crise climatique si on veut y mettre un sens.
Donc personnellement, je me suis fait ma petite feuille de route, mon cadre d’étude, que je décris sur le site internet sur la page a propos si ça vous intéresse. Enfin de toute façon je vous en parle maintenant.
Je suis parti de l’idée que pour mener mon enquête sur le monde j’allais classer les sujets en 3 grands systèmes : la Terre, la civilisation, et l’individu. Ca me permet d’organiser un peu mes idées et de ne pas trop me perdre même si quand même ca continue de pas mal être emmêlé et c’est normal.
Et j’essaie autant que possible de m’appuyer sur la méthodologie de la pensée systémique qui est une approche que l’on trouve souvent décrite a l’aide de l’image d’un iceberg: parce qu’il y a ce qu’on voit au-dessus de la surface, et ce qu’on ne voit pas, qui est en dessous. Je vous en dis 2 mots.
Ce qu’on voit, ce sont des événements. Des choses qui arrivent et qui nous arrivent. On peut aussi les appeler symptômes puisqu’il y a quelque chose qui les amène.
Et sous la surface, il y a ce qui provoque les évènements, ce qui les fait émerger, les causes.
Et l’idée est que si on regarde mieux les causes on pourra mieux traiter les symptômes, mieux prévoir les événements à venir, et peut-être même agir pour éviter par exemple des événements indésirables.
Et la plupart du temps on est très mauvais pour comprendre ce qui se joue tout simplement parce qu’on on ne regarde pas sous la surface.
D’après ce modèle, qu’est-ce qu’on a sous l’eau donc.
On trouve d’abord les Tendances et motifs qui créent l’événement,
Un niveau en dessous on trouve les structures sous-jacentes qui expliquent ces tendances.
Et encore en dessous on trouve les croyances sous-jacentes, les présomptions, les valeurs qui soutiennent les structures.
C’est peut-être un peu abstrait comme ça mais c’est une manière de voir les choses que je trouve assez puissante.
Je vous ai parlé tout à l’heure de ces courbes exponentielles, de cette grande accélération: émissions carbones, croissance économique, croissance de la population, pollution, consommation d’énergie, de ressources, de poissons, explosion des inégalités, augmentation de la puissance de calcul, etc.
Cette accélération du monde est une des grandes tendances et un des motifs de notre époque, qui contribue en partie à faire émerger tout un tas d’évènements directement et indirectement selon où on regarde. Ces évènements ce sont par exemple des mouvements sociaux, des sécheresses ou inondations, des pandémies, des cracks boursiers, la révolution numérique, plein de choses, positives ou négatives d’ailleurs. Et puisque c’est une accélération, ces événements sont de plus en plus fréquents.
Et j'ai choisi cet exemple exprès parce qu’il me semble effectivement et comme je l’ai dit que ce phénomène d'accélération explique à lui seul énormément de choses.
Donc on a des tendances fondamentales qui font bouger tout un tas de systèmes.
Se pose alors la question des structures sous-jacentes.
Et c’est là qu'ont été importantes des conversations que j’ai pu avoir sur ce qui compose l'économie, le PIB, l’énergie, la technologie. Je vous renvoie aux notes de l'épisode pour retrouver ces épisodes.
Et ce que j’ai compris c’est que la grande structure sous-jacente en ce qui nous concerne, c’est le modèle technico-socio-économique ou plutôt le modèle de développement au sens large; et aujourd’hui et en simplifiant c’est a la fois l’extractivisme, le capitalisme financier, la marchandisation de tout, la monnaie-dette, la mondialisation, tout le système production et toutes les structures qui les soutiennent, de la technologie aux institutions en passant par les normes et lois.
C’est cette grande machine, ce « super organisme » sans tête comme le nomme Nate Hagens, cette « doomsday machine » pour Heinberg, ou cette civilisation lumineuse pour d’autres, qui est optimisée pour extraire des matières premières dont les énergies fossiles, les minerais et tout autre produit de la Nature renouvelable ou non, qui ensuite les transforme en produits, en service et en PIB et qui rejette des déchets sous forme de pollution diverses et variés, dont des gaz à effet de serre, avec pour conséquence de modifier profondément des systèmes qu’on pensait pourtant immuables. Je pense au monde vivant au sens large, aux océans, au cycle de l’eau, à la cryosphère, ou simplement aux paysages…
Au passage évidemment, il y tout un tas de choses positives qui sortent de cette machine, le PIB c’est du développement, du confort, de la nourriture, des voyages, du savoir, bref, ce qu’on appelle le progrès.
Mais pas que, comme me l’ont bien fait comprendre beaucoup de mes invités.
Mais encore une fois, je ne prétends pas avoir le tableau dans son ensemble, je simplifie ici largement.
Ca c’est la structure sous-jacente donc.
Et encore en dessous, il y a un dernier niveau qui soutient le tout: ce sont de grandes idées, des valeurs et des croyances.
Par exemple, si on continue ce qui fait notre civilisation globalisée.
Une des croyances fondamentales est qu’on peut comprendre le réel simplement en le découpant.
On a donc créé tout un tas d’expertises, de silos, qu’on a creusé très profondément certes, mais qui font aussi qu’on finit par ne plus voir les connexions entre les sujets, a voir l'évolution du système dans son ensemble.
Parce que c’est plus pratique, on a par exemple séparer l’agriculture de l’étude de l’environnement. On a simplifié, on a cru que la chimie pouvait tout résoudre, et on commence à comprendre que non.
Mais pourtant, je ne crois pas que notre ministre de l’agriculture se soucie vraiment de prendre l’avis de notre ministre de l’environnement pour planifier la politique agricole des années à venir.
Autrement, on nie la complexité des événements et on a malgré tout l’impression de comprendre ce qui se passe alors que l’essentiel nous échappe. Mais je me répète un peu…
Ca c’est un exemple.
Je continue sur les croyances avec une petite liste évidemment non exhaustive tout en sachant qu’il y a des nuances selon la culture que l’on regarde.
Des exemples donc :
La croissance économique n’a pas de lien avec le monde physique
Quelles que soient les limites que nous pouvons rencontrer, nous parviendront toujours à les dépasser grâce à de l’innovation, car le génie humain lui est sans limite. Et donc il n’y pas de limite à la croissance économique
Nous les humains, sommes a part, au-dessus de la Nature, et celle-ci nous appartient et donc on peut en disposer comme on le souhaite. C’est même Dieu qui l’a dit, c’est écrit.
Le progrès passe forcément par de la croissance.
La compétition est inévitable, et si je ralentis, je perds.
Il n’y a pas d’alternative.
Le marché est le meilleur moyen d’organiser l'économie et la société.
Nous sommes des êtres rationnels.
Plus, c’est mieux, le succès c’est gagner de l’argent, s’élever au-dessus des autres, collectionner les expériences.
etc
Et comme ces croyances sont aujourd’hui très ancrées, et notamment chez la plupart de ceux qui sont aux manettes, même quand émergent des événements que nous ne voulons pas, basées sur des tendances que l’on comprend, et que l’on arrive à identifier un problème dans la structure sous-jacente, même alors, on arrive à inventer de nouvelles histoires qui nous évitent d’avoir à modifier nos croyances.
A un niveau macro ça donne des logiques parfois étonnantes.
nous manquons d’eau > on va modifier les plantes pour qu’elles poussent sans eau, ou on ira en chercher sur les astéroïdes. Il y a quand même des gens qui déjà mettent beaucoup d’argent sur ce type de projets.
La crise climatique, l’extinction du vivant nous menacent ? Nous allons capter le carbone grâce à de grosses machines, ou modifier la composition de l'atmosphère grâce à des aérosols ou même aller sur Mars pour y vivre. Et on doit bien pouvoir remplacer les abeilles par des mini-drones.
On va manquer de pétrole ? Pas de problème nous allons mettre des éoliennes et des panneaux solaires partout et faire des voitures électriques.
On va manquer de matériaux et de temps pour mettre ce plan a exécution ? Il suffit de mieux orienter la R&D et les investissements et ça ira.
En gros donc, le génie humain est sans limite, la dette peut être créée à l'infinie, etc… donc il n’y a pas de problème.
Et peut-être que c’est vrai, peut-être que ces postulats pourront nous emmener beaucoup plus loin qu’on ne le pense. Peut-être ces histoires qu’on se raconte, ces spéculations, ces rêves, font partie de l’Histoire humaine, de ce que nous sommes. Mais il me semble que certaines de ces projections actuelles méritent en tout cas d’être sérieusement reconsidérées et réévaluées vu les enjeux et les risques qui en découlent aujourd’hui. Nous sommes peut-être des rêveurs, mais quand le rêve devient trop éloigné du monde physique, ce qui peut exister, il y a certainement danger.
La thématique des croyances et par ricochet de la recherche de sens, la quête d’un autre rapport au réel, plusieurs de mes invités en ont parlé, sur des sujets différents: par exemple, Abdennour Bidar, Marc de la Menardiere, Virginie raisson, Mathieu Baudin, Céline Mas, Clair Michalon ou même Laurent Alexandre d’une certaine manière.
Et la question en creux qui revient est toujours la même : pourquoi ces structures sont ce qu’elles sont, pourquoi elles ne bougent pas et comment les faire bouger si effectivement on estime qu’elles doivent bouger ?
Il y a évidemment différents points de vue sur le sujet.
Pour certains d’abord, il n’y a aucune raison de remettre en question ces structures profondes, ces croyances comme la séparation entre l’Homme et la Nature ou un génie humain et une innovation sans limite.
Mon retour d’expérience la-dessus est qu’une partie ce ceux qui pensent ça ne font pas bien le lien entre les symptômes que l’on observe et qui sont les grands enjeux, et ces schémas de pensée. Et aujourd’hui je vois ça comme une erreur, comme un angle mort vraiment problématique.
Et cette erreur me semble pouvoir venir soit d’une paresse intellectuelle, soit d’un défaut de raisonnement, soit d’une forme de déni parce qu’il nous en coûterait trop de remettre tout ça à plat. Par exemple, pour certains croyants, il est tout simplement impensable que l’Homme ne soit pas à part.
Et ca vient de loin, par exemple, dans la bible, livre de la Genèse, au tout début donc une fois que Dieu a crée l’homme a son image puis la femme en sous-produit de l’homme, ce qui au passage en dit long aussi sur une des origines du patriarcat, il est écrit, et je lis pour ne pas me tromper :
« Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. »
Et Dieu continue pour qu’on soit sûr qu’on a bien compris que la Nature appartient aux Hommes :
« Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d'arbre et portant de la semence: ce sera votre nourriture. »
Tout ceci est très bien ancré dans la culture occidentale souvent de manière inconsciente.
Ailleurs, ce sont d’autres récits, d’autres contes, d’autres rapports au monde mais il me semble tout de même qu’en tout cas dans les grandes religions dominantes l’humain occupe souvent un place à part dans le monde. Et par ailleurs, même si ce n’est pas aussi net que dans la bible, on connaît l’influence de la culture occidentale sur le monde d’aujourd’hui, et notre rapport au monde s’est donc tres bien exporté.
Et puis à ça on peut ajouter une interprétation supplémentaire quant à notre difficulté à revoir nos croyances.
Pour certains ça ne change pas parce que certains ne veulent pas que ça bouge. Parce que ces schémas de pensée et ce qui en résulte servent très bien les intérêts de certaines classes ou groupes dominants, de certains individus puissants. In fine, il s’agit simplement de ces bon vieux enjeux de pouvoir et de domination.
C’est un point de vue que je trouve personnellement intéressant et qu’on retrouve dans l'écoféminisme, dans la critique du patriarcat, dans l’écologie décoloniale, et d’ailleurs sans parler d’écologie, on retrouve cette idée que la culture dominante actuelle, puisque c’est bien toujours de culture dont on parle, que cette culture de la compétition, de la consommation, du premier de cordée, de « l'inattention », de la séparation, de l’utilitarisme, de l’optimisation et que sais-je encore, qu’elle est maintenue en place malgré les problèmes qu’elle pose, parce qu’elle profite à quelques-uns. Ces quelques-uns pouvant être un tout petit groupes d’individus ou même la moitié de l’humanité selon de quoi on parle.
Ça rejoint le thème des inégalités, des médias et de l’information en général, des jeux politiques, de la lutte des classes, de l’argent et de cette quête de puissance si bien décrite par Richard Heinberg dans l'épisode 75.
Et pour ma part, et j’en suis maintenant convaincu, si ces structures sous-jacentes ne bougent pas, si les causes profondes des dynamiques actuelles ne bougent pas, il n’y a aucune raison que la trajectoire future soit différente de la trajectoire actuelle, avec les conséquences que tout ceci implique.
Je n’invente évidemment rien. Et quand on lit la-dessus on tombe d’ailleurs souvent sur une citation attribuée à Einstein et qui résume bien la problématique : « On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème. »
Maintenant, est-ce que l’on peut changer notre rapport au monde en changeant la culture ? Je ne sais pas.
Je ne pense pas qu’il suffise de travailler à des nouveaux récits, même si imaginer de nouvelles histoires est peut-être une pièce indispensable d’un grand puzzle dont on ne voit pas la structure finale.
Mais changer la culture ça veut aussi dire changer le business model des GAFA, de la pub en général et même des entreprises, c’est limiter ce qui monopolise notre attention et nous empêche de voir des alternatives, c’est politique, c’est comptable, économique, c’est l’école, Netflix, Instagram, la religion, Davos, l’Union Européenne, c’est de l’urbanisme, c’est notre désir de fraise en hiver ou plutôt tout ce qui nous conditionne à avoir ce désir … Bref, c’est compliqué parce que c’est profond et partout, c’est systémique, pour ne pas dire Sismique.
Voila pour le beau mot.
Et ce que je cherche c’est à la fois à plonger dans cette grande complexité, quand bien même je sais donc qu’on ne peut pas en faire le tour, et je cherche à démêler toute cette grosse pelote autant que possible.
Et pour faire ça, l'approche systémique m’aide beaucoup, car elle me permet de savoir de quoi on parle, et à quelle profondeur on se trouve.
Et c’est cette capacité à faire le tri et en même temps à faire les liens que je recherche chez mes invités.
Pour moi en fait, peu importe en fine ce que mon interlocuteur pense, je ne suis pas la pour dire s’il a tort ou raison comme vous l’avez compris, peu importe du moment que je peux me nourrir de son interprétation du monde, que je peux comprendre quel est l’angle de vue, le postulat de départ et l’analyse qui en découle. C’est pour ça que je veux aussi parler avec des gens avec qui je ne suis a priori pas d’accord du moment que le dialogue peut être constructif. C’est quelque chose d’ailleurs que je n’ai pas assez fait si je dois faire mon autocritique.
Ou j’en suis de ma propre analyse ?
Je ne me livre que très peu sur mes propres opinions, parce qu’elles bougent quand même pas mal et qu’en en parlant je risque de les figer.
Mais puisqu’à peu près tout je présente Sismique comme une enquête, je peux vous dire ou j’en suis, en sachant donc que je continue d’avancer.
En vrai, je viens déjà de vous livrer un gros bout de ma vision des choses avec tous ces exemples.
Effectivement je pense que cette croissance de tous est la source à la fois de toutes ces choses fascinantes qui nous entourent, parce qu’évidemment il y a des choses fascinantes, enfin en tout cas qui moi me fascinent dans le monde moderne, et aussi la source des tous les grands dangers existentiels qui nous menacent.
Et je suis pour l’instant convaincu par l’idée que cette croissance risque de bientôt s’arrêter, que d’ailleurs en fait elle ne repose plus que sur de la dette, et que tout pourrait s’effondrer comme un château de cartes. Je reboucle avec les thèses de Vincent Mignerot par exemple, qui fut mon premier invité.
Les tenants de la croissance verte ne m’ont pour l’instant pas convaincu, je vois trop de failles dans leurs modèles. Je pense effectivement que nous ne sommes pas du tout sur une trajectoire qui puisse nous permettre de ralentir notre fuite en avant et que les mêmes causes continueront de provoquer les mêmes effets, et que donc nous allons voir un soucis avec le climat, avec les ressources, avec l’environnement en général donc, et que ca conditionne tout le reste.
Est-ce que ça fait de moi un collapsologue ? Non, je ne crois pas. Je refuse toute étiquette et je ne me reconnais vraiment dans aucun mouvement de pensée puisque je n’arrête pas ma pensée, je suis en recherche.
Et je pense aussi que d’autres sujets sont tout aussi pressants.
Les crises géopolitiques qui se profilent ne me rassurent pas, les tensions politiques internes, la montée des nationalismes et néo-fascismes non plus.
Presque partout ou je regarde je vois soit des fuites en avant inconscientes, soit des modèles a bout de souffle, et aussi une sommes de fausse bonnes solutions. J’ai l’impression que nous sommes totalement démunis face aux enjeux et aux blocages de toutes sortes qui nous empêchent de les adresser vraiment.
Et pourtant je reste convaincu que rien n’est encore joué, que rien n’est encore totalement écrit, que tout peut arriver, même si je ne vois pas bien pas par où ça passe comme on dit.
Enfin si, je me dis que ca passe certainement par moins de déni, une meilleure connaissance des sujets, par des gens qui se mettent a vraiment regarder ce qu’il y a la racine et qui en font quelque chose. Et quoi qu’il en soit, ce n’est pas binaire, l’avenir n’est pas blanc ou noir, et il y a tellement de chose qu’on ne voit pas dans le présent et qu’on ne voit pas venir.
Pour certains, tout est politique.
Pour d’autres, tout est technologique.
Pour d’autres encore, il s'agit de débrancher Facebook ou CNews, de mieux répartir les richesses, de changer nos indicateurs, de rediriger les investissements, de manger moins de viande, …
Je ne sais pas, je trouve des idées pertinentes un peu partout et je me dis que si on pensait chacun et chacune un peu moins avoir tout compris mieux que les autres, si on apprenait à dialoguer, à moins vite juger, on pourrait peut-être mieux avancer.
C’est ma petite utopie personnelle, un monde d’attention, d’écoute et de lien à soi, aux autres et au monde pour paraphraser Abdennour Bidar.
Je m’arrête là, sur ces belles paroles et je vous laisserai aussi méditer sur mon petit jingle de conclusion tiré du film OSS117 : changer le monde, quelle drôle d’idée…
Je ne sais pas ce que vous pourrez tirer de tout ceci, j’espère juste que ce n’est pas trop confus et que ca vous donne un nouvel éclairage sur Sismique et ma démarche.
Je vais continuer d'enquêter sur les évènements, sur les tendances et sur qui sous-tend tout ça en essayant de varier peut-être davantage les sujets, les points de vues et sans forcément chercher des solutions.
La question de savoir ou l’on va m'intéresse toujours autant, mais je veux aussi passer du temps à réfléchir à comment on vit et comment on fait société dans une époque pareille.
Je vous laisse avec une petite liste des sujets que je compte explorer ces prochains mois et si jamais vous avez des idées de qui il faudrait que je reçoive pour en parler, dites le moi.
Le vivant, l’agriculture, l’eau. Je n’ai pas encore abordé vraiment sérieusement ces sujets qui sont pourtant à la base de tout.
L’exponentielle technologique. Il y a déjà quelques épisodes la-dessus mais la tech a une telle place et devenue tellement structurante et suit une telle trajectoire qu’il faut la comprendre bien mieux.
Les jeux de pouvoir et d’influence. Qui décide, qui gouverne, qui a la main et qu’est-ce que ça implique ? Le pouvoir politique, médiatique, économique, les lobbies, les mafias, la géopolitique, ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas.
Les grandes évolutions culturelles et leurs enjeux.
Les risques sociétaux. J’ai beaucoup étudié les grands systèmes, moins ce qui est plus prêt de nous et nous préoccupe à plus court terme.
Et notre rapport personnel aux choses. Au travers de la philo, et des sagesses en général, mais aussi de la compréhension du réel grâce à la science, je veux prendre de la hauteur sur ce que ces mouvements du monde impliquent pour chacun. J’en reviens à l'exploration de cette question personnelle : comment vivre une belle vie a notre époque ?
A suivre donc… Ce podcast peut encore durer quelque temps comme vous le voyez.
Pour finir quelques mots sur du simple et basique :
D’abord si tout ceci vous intéresse, rejoignez la communauté Sismique sur Discord pour découvrir plus de contenus et surtout échanger avec d’autres auditeurs et aussi avec moi, c’est plus simple que par email.
Nous sommes près de 400 à l'heure où je publie l’épisode et il se passe donc pas mal de choses. Vous pouvez aussi simplement vous abonner à la newsletter ou suivre Sismique sur les réseaux sociaux.
Pour me soutenir, vous pouvez faire un don via Patreon ou Tipeee, ou encore faire découvrir le podcast a vos proches ou vos collègues. Comme je viens de passer du temps a vous le dire, je suis convaincu de l’importance de la diffusion des idées.
Enfin, si vous voulez parler de tout ça dans votre organisation et contactez-moi pour voir comment on peut faire. En plus du podcast, mon autre activité est de donner des conférences, des cours et de partager mon retour d’expérience.
Je m’arrête là. Et pour clôturer ce bilan, je m’adresse a toi mon cher auditeur, ma chère auditrice. Merci pour ton écoute, vraiment, tu as déjà changé ma vie de bien des manières et en profondeur. Merci !
Belle journée, belle soirée ou bonne nuit, et à très vite !
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