Comprendre le lien entre l'écologie, le climat, les ressources et la démographie. Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?
Emmanuel Pont est l'auteur du livre "Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? Entre question de société et choix personnel."
On entend parfois dire que nos problèmes écologiques et nos problèmes de ressources sont liés au fait que nous sommes trop nombreux sur terre.
Et de fait intuitivement on se dit que plus il y a de monde, plus on il sera difficile de diminuer notre emprunte, de revenir dans les limites du soutenables.
Certaines et certains choisissent même de ne pas faire d’enfant en se disant que ce serait aggraver le problème.
Mais qu’en est-il vraiment ?
Qu’est-ce qui se cache au-delà des moyennes, quand on regarde la démographie comme une donnée parmi d’autre sans en faire la pierre angulaire de notre époque.
ITW enregistrée le 12 avril 2023
De quoi parle-t-on ?
01:55 - Qui est Emmanuel Pont
Ancien consultant puis patron de startup, et plus récemment boulimie de recherche et de lecture sur le sujet de la crise écologique, dont le sujet de la surpopulation. Ecriture d'article de blog il y a 3 ans, qui a lancé beaucoup de relations avec des experts et finalement l'écriture d'un livre. Et aussi des réflexions plus personnelles sur ses choix à lui.
04:10 - Lien historique entre population et puissance des nations
La démographie est un prisme déterminant de l'histoire du monde. Outre le nombre, les caractéristiques qualitative de la fécondité, de la mortalité, de la santé sont tout aussi importantes.
La population est un enjeu de puissance mais qui cause des problèmes de ressources (cf. Platon s'inquiétait déjà de la disparition des forêts autour d'Athènes). Le nombre amène la puissance des armées mais aussi la puissance fiscale.
07:10 - Malthus
Le sujet de la surpopulation était dans les thèmes de l'époque, mais il a mis en forme un certain nombre de modèles et de conclusions. Dont le fait que sans contrôle fort des naissances et avec une faible productivité agricole, on est bloqué dans un piège où la majorité des gens sont juste au seuil de survie.
Aider les pauvres ne servirait donc à rien car de toute façon ça ne conduira qu'à en avoir plus qui seront toujours pauvres.
Justification de l'ordre social en place, toujours utilisée par les conservateurs aujourd'hui.
Malthus a modifié ses affirmations et produit 5 versions de ses principes de population, certaines plus modérées et d'autres plus radicaux.
3 grands courants de Malthus au final :
- ça ne se sert à rien d'aider les pauvres parce qu'ils vont rester pauvres
- néo-Malthusianisme : grève des ventes, éviter de faire de la chair à canon, ...
- éco-Malthusien : lien entre population et écologie (ré-interprétation très récente des idées de Malthus, mais ça n'a jamais fait partie de ses inquiétudes)
12:40 - La grande accélération actuelle
Le phénomène d'accélération ne doit pas être vu de façon trop globale, il faut reconnaître que c'est la transition démographique qui est en route, avec la phase intermédiaire où on a une forte décorrélation entre la natalité et la mortalité et donc une forte croissance démographique.
16:30 - Où en est-on actuellement ?
On peut avoir l'impression d'exponentielles, mais le maximum de taux de croissance de la population mondiale a été atteint en 1968, autour de 2% par an, et aujourd'hui on est à moins de 1% par an, et il continue de baisser car la majorité de l'humanité atteint la fin de sa transition démographique.
19:00 - Les projections
L'Afrique a fait la transition démographique moins vite que l'on se l'attendait. L'Amérique latine plus vite.
La population qui va le plus changer en ordre de grandeur c'est l'Afrique, elle pourrait encore plus que doubler pour atteindre un peu moins de 4 Milliards d'habitants, ce qui va être un vrai bouleversement.
La population mondiale pourrait selon les tendances actuelles plafonner entre 9.5 et 10.5 milliards d'habitants, quelque part entre 2050 et 2100.
22:00 - La surpopulation et la bombe population
Qui est le responsable de la crise actuelle entre la surpopulation et la surconsommation des plus riches ?
La surpopulation est un jugement de valeurs, dont la conclusion est déjà dans le mot, avec très peu de définitions précises sur les causes de cette surpopulation, pourquoi on considère que l'on est trop.
La "bombe population" est un livre de Paul Ehrlich, un des grands livres qui a créé la conscience écologique, mais qui est considéré aujourd'hui comme un pamphlet.
De son point de vue, la surpopulation c'est le bruit et la saleté qu'il a perçu de Delhi, alors que la ville est moins dense que Paris, et les gens moins pauvres qu'à la campagne dont ils viennent en général et une natalité plus faible en ville. Il confond complètement la phase de l'exode rural avec une urbanisation anarchique, une exposition plus visible de la misère, ... Le livre et ses réflexions ont très mal vieilli heureusement.
26:30 - Les modèles de simplification du monde
Ipat et Kayah sont des équations qui décomposent une moyenne, par exemple des émissions par personne. On aurait pu faire les mêmes équations avec plein d'autres décompositions, et donc même si c'est vrai, c'est très simplificateur. Il manque beaucoup de termes et de facteurs dans l'équation qui pourtant ont un réel impact également.
On traite une moyenne, et on confond (en moyennant) l'impact entre un milliardaire et un pauvre extrême. Et on oublie les effets rebonds, i.e. ces équations supposent que l'on est dans un régime stable alors que l'on sait que toute modification de nos comportements (je ne prends plus la voiture et économise de l'argent) peut avoir un effet rebond pire (j'ai plus d'argent pour consommer encore plus d'objets).
Exemple : si on divise la population mondiale par deux, on ne va pas diviser la production de pétrole par deux, on va plutôt avoir plus de pétrole disponible par personne et on va très certainement le consommer.
En travaillant sur les termes de cette équation et par exemple en divisant la population par deux, on n'a répondu à aucun des enjeux de la transition actuelle : les riches ont toujours intérêt à polluer et c'est principalement les pauvres qui vont en être victimes ; c'est encore les gens présents sur terre aujourd'hui qui peuvent polluer et ceux qui ne sont pas encore nés qui en seront les principales victimes ; c'est un monde où l'on ne sait toujours pas collaborer, où le consumérisme est toujours présent, ...
33:50 - La notion de moyenne
Un bel exemple est qu'en traitant la moyenne, on confond / traite pour 1 aussi bien le milliardaire américain et l'indien d'Amazonie, alors qu'ils ont des impacts extrêmement différents (en impact carbone mais aussi en poids politique, en actionnariat et donc contrôle sur les grandes sociétés polluantes, ...).
Un autre exemple est que dès que Bill Gates rentre dans un bar, en moyenne tout le monde est milliardaire dans le bar, alors que la richesse individuelle n'a pas changé, juste Bill Gates est très riche.
Autre exemple, les 10% les plus riches de l'humanité sont responsables de 50% des émissions, et les 1% les plus riches environ 10% des émissions. Donc la moyenne est également trompeuse, mais sans doute que la majorité des auditeurs du podcast sont dans les 10% les plus riches de l'humanité (le Français moyen est dans ces 10%).
Mais il y a aussi une grande disparité, en France, ceux qui émettent le plus des 10% les pauvres émettent plus que ceux qui émettent le moins des 10% les plus riches. La décomposition entre richesse et émission n'est vrai qu'en moyenne, dans le détail c'est beaucoup plus complexe.
36:30 - capacité de charge et empreinte écologique
Il y a différentes visions / définitions de ce qu'est un monde soutenable :
- des visions de soutenabilité faible où la nature ne vaut que par son utilité pour l'homme
- des visions de soutenabilité forte où la nature vaut en elle même
A certain extrêmes, certains considèrent qu'un monde soutenable où il n'y a plus de civilisation ni d'industrie, et donc il ne faut pas dépasser quelques millions de personnes.
La capacité de charge c'est combien d'individus peuvent vivre dans un milieu. C'est le niveau 0 de l'écologie, qui est valable dans un laboratoire dans un milieu fermé tel une boîte de Petri. La réalité n'est pas homogène, avec plein de boucles de rétroactions, ... et donc on ne peut pas utiliser cette notion de capacité de charge pour en tirer des conclusions sur ce que l'on doit faire dans la réalité.
L'empreinte écologique est un calcul qui regroupe l'utilisation des ressources renouvelables (cultures, pêcheries, forêts) ce qui est douteux. Et il remplace les émissions de carbone par des surfaces de forêt à planter. Or par définition on utilise 100% de nos surfaces cultivables, de nos pêcheries, et une grande partie de la capacité de renouvellement de nos forêts. Et donc le jour du dépassement n'est que le reflet du fait que l'on émet trop de Co2. Et du fait que l'on est nombreux, on n'arrive pas à compenser ce Co2 par de la surface de forêts à planter. Mais être moins nombreux ne résoudrait pas les problèmes écologiques, on aurait juste résolu le calcul du jour du dépassement.
43:00 - les limites planétaires
La notion de limite est arbitraire, il n'y a qu'un continuum d'ennuis de plus en plus grands.
Par contre ça reste un modèle intéressant pour comprendre les grandes tendances, les grandes familles de problèmes
environnementaux et la situation globale.
44:40 - responsabilité individuelle vs collective
Il y aura toujours plusieurs responsabilités et plusieurs prismes, qui aident à comprendre la réalité.
Tout le monde est responsable de la consommation de pétrole par exemple, autant celui qui l'a extrait, celui qui l'a raffiné, celui qui a construit la voiture, celui qui a construit les routes, celui qui l'a acheté à la pompe pour le mettre dans la voiture.
Et individuellement notre responsabilité n'est pas que liée à notre consommation. On est aussi un citoyen, un travailleur, un décideur, qui ont tous un impact. Et aujourd'hui on se détourne beaucoup de toutes ces responsabilités sociales. Par exemple les pétroliers, le problème n'est pas tant le pétrole qu'ils ont extraits mais aussi et surtout le fait que depuis 50 ans ils financent la désinformation et le lobbying.
Il y aura toujours plusieurs responsabilités.
Et la notion de social tiping point est par exemple importante pour se dire que même si l'on est une goutte d'eau, il n'en faut pas forcément tant que ça pour faire bouger les choses.
48:40 - y a-t-il un levier démographique
Le sujet démographique est un levier mineur dans la transition.
Notamment car d'un point de vue éthique, le contrôle des naissances a toujours été abominable dans sa mise en place.
A l'échelle globale, réduire la croissance de la population aurait un effet écologique mais par exemple les pays qui ont plus que 3 enfants par femme, c'est 3% des émissions de l'humanité (pour 20% de la population) et ils sont loin de rattraper les pays riches en termes d'émissions.
Pour autant il y a des enjeux locaux, par exemple la population de l'Afrique qui va doubler va être un vrai enjeux à traiter, car l'accès à l'eau, l'occupation des terres seront des sujets à traiter.
Les pays riches qui sont responsables de la majorité des émissions ont déjà une très faible natalité. Et globalement les gens ont déjà moins d'enfants que ce qu'ils voudraient, donc on va avoir du mal à limiter cette natalité.
Et même si on impose l'enfant unique en France aujourd'hui, il faut attendre 2100 pour diviser la population par deux.
Et on enlève des bébés et des enfants qui consomment moins que les adultes, et donc on ne réduit pas tant les émissions. Autrement dit, réduire le nombre de gens dans 100 ans ne va pas changer du tout la donne, on arrive probablement à réduire de 3% les émissions.
On arrive pas à interdire aux gens de manger de la viande et de prendre l'avion, et on croit vraiment que l'on va pouvoir leur interdire de faire des enfants ? Et est-ce qu'on le veut vraiment, c'est un choix de société qui nous plait ?
Le calcul individuel (combien j'émets de plus en faisant un enfant) est complètement biaisé et très théorique. Il cumul toute l'empreinte de cet enfant et de sa descendance. Pourtant rien ne prend en compte quels seront les choix de cet enfant. Or ceux qui font ce genre de réflexions, c'est pas ceux qui partent à Ibiza tous les week-ends, c'est ceux qui sont sur un trajectoire compatible avec les accords de Paris et donc cet enfant serait en fait sur une trajectoire de 1T de CO2 par an.
1:00:45 - Que fait-on de ce constat ?
On doit rediriger les inquiétudes autour de la démographie vers d'autres questions plus profondes.
Tous les thèmes autour de ce sujet démographique sont en fait un vrai toboggan vers les thèmes de l'extrême droite.
Les tendances actuelles montrent quand sans réel changement de scénario et de façon d'appliquer les règles écologiques, on va vers un modèle où les riches vont continuer à être les plus puissants, à retirer les principaux bénéfices et à faire peser la pression sur les plus pauvres.
1:05:00 - deux livres à recommander
Un seul : Plaidoyer pour l'altruisme, Matthieu Ricard (trop long, mais passionnant) : les gens altruistes rendent le monde meilleur mais en plus ils sont plus heureux, et donc on aurait tous à y gagner à coopérer
Pour information, Emmanuel est en train d'écrire une thèse pour avancer le débat scientifique et pas uniquement le débat public comme il a pu le faire avec son livre.
Les épisodes à écouter en + :
Pour aller plus loin :
L'article mentionné dans l'interview : https://medium.com/enquetes-ecosophiques/d%C3%A9mographie-et-climat-5a6ef5be37ed
Son livre : Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? : enquête sur la démographie mondiale
Et si la bombe démographique mondiale n’explosait pas ? - C ourrier International
Transcript
Bonjour Emmanuel.
Bonjour Julien.
Merci de m'accorder un peu de ton temps. On va parler de population et de surpopulation. D'ailleurs on va commencer peut-être par définir ce terme surpopulation assez rapidement dans la conversation. Mais est-ce que tu peux commencer par te présenter, m'expliquer ce que tu fais, quelles sont les lunettes que tu portes pour regarder le monde de notre époque et donc, spoiler, on va y aller assez vite, pourquoi tu as choisi en particulier de t'intéresser au sujet de la démographie.
Alors je m'appelle Emmanuel Pont, j'ai 40 ans, j'ai fait un certain nombre de choses dans ma vie, en particulier j'ai été consultant, j'ai été patron de start-up, et à un moment j'ai eu la chance, entre guillemets, d'avoir un trou dans ma carrière, et d'avoir un peu de temps pour lever le nez du guidon et me demander ce qui se passe dans le monde. Et là je me suis pris un grand coup dans la gueule avec le sujet écologie. Et comme j'avais du temps, j'ai eu une boudimie de lecture, recherche, écriture. Et un des premiers sujets qui m'a gratté, c'était ce sujet de la population, parce qu'on peut lire à un certain nombre d'endroits que c'est le grand problème de l'humanité, de l'écologie, que faire un enfant c'est ce qu'on peut faire de pire pour l'environnement. Et je me suis retrouvé à creuser ça, à lire la littérature là-dessus et me rendre compte qu'en fait, souvent c'était soit discutable, soit surinterprété. Et j'ai écrit un article de blog sur le sujet, donc il y a un peu plus de trois ans, qui a eu beaucoup de succès. Sur faut-il faire des enfants ? Voilà, sur le sujet démographie et climat. Et je me suis retrouvé à embarquer un peu dans ce débat, j'ai été repris par un certain nombre d'experts avec lesquels j'ai discuté, et à un moment je me suis retrouvé avec de quoi écrire un livre. Et il y a eu en parallèle une réflexion de père potentiel, est-ce que moi-même je veux avoir des enfants ? Pour ces raisons-là, dans quel monde ils vont vivre ? Est-ce que je les inflige au monde ? Qu'est-ce qu'ils vont causer ? Et donc, c'est des réflexions qui sont venues en même temps.
OK, écoute, on va parler de population, on va parler de ton travail. Et c'est vrai que c'est une question qui revient assez régulièrement dans les débats, que ce soit entre amis ou dans les médias. En fait, il y a toujours quelqu'un qui finit par se dire, mais finalement, c'est si on était moins sur Terre, il n'y aurait pas tous ces problèmes. Ou alors la solution, c'est qu'on soit moins sur Terre. Ou alors, nous ne sommes pas responsables finalement de ce qui, de cette histoire franchissement des limites, ce sont les chinois ou les indiens ou demain les africains, etc. Je voudrais qu'on commence par poser un peu les bases. Historiquement, en fait, il y a un lien entre population, entre puissance, la puissance des nations, puisque plus on est nombreux, plus on a de l'énergie à déployer, plus on a du monde à mettre dans les armées, plus etc. Donc il y a une corrélation entre le taux de natalité, aussi le taux de mortalité et puis simplement même la survie de l'espèce. Quelle est ta lecture de ça ? Dans quelle mesure on peut dire que le sujet de la démographie est une donnée déterminante de l'histoire du monde ?
Alors la démographie est un prisme déterminant de l'histoire du monde, c'est-à-dire qu'on peut voir l'histoire du monde en regardant depuis ses débuts quelle était la population, comment elle vivait, parce que quand on parle de démographie, de loin on a un peu tendance à penser au nombre, mais en fait dans la démographie il y a l'étude beaucoup plus précise des caractéristiques des gens, de leur évolution, de leur fécondité, de leur mortalité. Il y a un certain nombre de réflexions qualitatives autour de ça, et ça permet de voir beaucoup de choses, ne serait-ce qu'il y a des enfants, comment les gens meurent, combien de gens peuvent vivre et survivre dans telle société. Le monde des chasseurs-cueilleurs d'il y a 15 000 ans. Il y avait quelques millions de personnes qui vivaient avec une densité ridicule, partout dans le monde, mais il y avait quelques milliers de personnes en France, tout simplement parce que ce mode de vie n'est compatible qu'avec une faible densité. Et donc on a toute l'histoire de l'humanité qui peut être vue par ce prisme, et après effectivement il y a cette population qui est à la fois un enjeu de puissance, mais assez vite sont arrivées des questions de ressources, en particulier de ressources alimentaires, parce que évidemment plus il y a de gens sur un même espaces, plus ça devient difficile de les nourrir, plus ça devient difficile aussi de les fournir en autre chose. C'était des Platons qui s'inquiétaient par exemple de la disparition des forêts autour d'Athènes, parce qu'ils ont coupé du bois pour plein de choses. Et donc il y a bien ces deux-là qui vont ensemble, et c'est vrai que traditionnellement pour les pays, plus on a de gens, plus on a de soldats, plus on a de baisse fiscale. Et c'est de là que vient cette devise « il n'y a de richesse que d'hommes » de Jean Baudin qui était du 17e siècle. En fait, ce n'est pas une devise humaniste. C'est une devise qui dit que plus on est nombreux, plus on est riche. Et donc il y a bien cet objectif-là, et cet objectif, donc à cette même époque, il y a cette inquiétude qui était que, justement, plus on grossit, plus la population grandit, et plus elle va grandir dans la limite de ses ressources, et elle a un potentiel pour grandir très important, plus ça va justement tirer sur ses ressources. C'est là qu'on va arriver, je pense, à Malthus, tu vas vouloir parler de Malthus.
On en parlera La figure de ce débat.
Oui, parce que c'est le Malthus lui-même et le malthuianisme, avec toutes les manières différentes d'en parler, avec beaucoup de confusion aussi autour de ces termes, on revient toujours, parce que c'était un des premiers penseurs à avoir mis sur la table, enfin en tout cas, un des premiers penseurs dont on évoque souvent, avoir mis sur la table ce sujet qu'on va appeler potentiellement la surpopulation.
Tu peux peut-être en parler maintenant ?
Je dirais que Malthus n'a pas mis directement ce sujet sur la table, parce que c'était dans les discussions de son époque, et qu'il a fait plusieurs choses. Il a imaginé des règles sorties de son chapeau, par exemple le fait que la croissance de la population est forcément exponentielle, alors que la croissance des ressources disponibles est linéaire. Alors, il aurait pu invoquer les rendements décroissants qui commençaient à être observés à son époque, mais en fait, il l'a un peu sorti de son chapeau. Et ce qu'il a fait qui est intéressant, je trouve, c'est d'en tirer une conclusion politique, qui est que la majorité de la population dans ce monde est pauvre et elle est à la limite de la survie. Elle est par définition à la limite de la survie, parce que si on produit plus, et bien il y aura plus de gens et ces gens vont consommer le surplus de nourriture.Et donc effectivement, dans ce monde, qui est le monde de la majorité de l'histoire de l'humanité, qui a une forte fécondité, qui n'a pas de contrôle d'une manière ou d'une autre des naissances, on verra, il en a un peu quand même, mais qui a un contrôle limité des naissances et qui a une faible productivité agricole, parce qu'il y a plus de 90% de la population en fait, produit de la nourriture, eh bien, on est bloqué dans ce qu'on appelle aujourd'hui un piège malthusien, où forcément, la majorité des gens seront au seuil de survie.
Et donc, évidemment c'est lié à une distribution des ressources qui est inégalitaire, mais dans tous les cas, quoi qu'il se passe, dans ce monde à faible productivité, on aura cette limite. Et donc dans ce monde-là, tout ce qui est aider les pauvres, en fait, ne sert pas à grand-chose, parce qu'il y aura plus de pauvres, et donc ils vont rester pauvres.
Et donc c'est la conclusion de Malthus à cette époque-là, et c'est une réponse directe aux penseurs progressistes comme Godwin et Condorcet, globalement au mouvement des Lumières, au moment de la Révolution française qui est pendant son essai, les premières versions en 1798, c'est que ça ne sert à rien d'aider les pauvres. Et non seulement ça ne sert à rien de les aider, mais d'autre part leur pauvreté est une loi naturelle, et donc une loi divine. Malthus est un pasteur anglican, et donc il y a eu vraiment une justification de l'ordre social, qui est sorti de cette loi démographique, qui est très intéressante, et qui est une grande inspiration de tous les mouvements conservateurs encore aujourd'hui. Et alors, ça c'est Malthus 1.0, on va dire. Malthus, il a beaucoup évolué, parce qu'il s'est rendu compte que certaines de ses affirmations les plus caricaturales n'étaient en fait pas très étayées, etc. Il a fait cinq versions différentes des principes de population pendant 30 ans. Bon, il se trouve que c'est les plus caricaturaux qui sont restés, mais parfois ça a été pire, c'est-à-dire que par exemple, dans sa deuxième version, il disait « c'est même pire que ça, c'est pas qu'une loi naturelle, c'est lié au fait que les pauvres ne sont pas capables de maîtriser leurs pulsions, parce que s'ils les maîtrisaient, ils auraient moins d'enfants ». Et, donc, il sent en plus cette responsabilité. Et donc, on voit bien ce lien entre cette question démographique, cette question des ressources et toute toute la question politique derrière.
Mais le terme de maltusianisme aujourd'hui n'est pas utilisé vraiment comme ça, il a été un peu dévoyé, non ? Il y a plein de maltusianismes différents. Alors moi j'aime bien diviser en trois grands groupes. Il y a le maltusianisme initial, qui est que globalement ça ne sert à rien d'aider les pauvres parce qu'ils vont rester pauvres. Il y a le néomaltusianisme, qui est un mouvement de la fin du 19e, qui est d'inspiration plutôt anarchiste. C'est celui de la grève des ventres, c'est celui d'éviter de faire de la chair à canon, de la chair à usine, de la chair à plaisir. Et il y a le mouvement éco-malthusien, c'est un terme qui est peu utilisé mais que je trouve bien pour montrer les différences, qui lui date des années 60-70 avec la montée en puissance de l'inquiétude sur le sujet de l'écologie, et qui fait le lien entre cette question. Mais Malthus n'était pas du tout un écolo, Malthus s'en fichait en fait de l'environnement, et donc c'est vraiment une logique différente. Ce que je veux dire c'est qu'aujourd'hui c'est souvent utilisé comme par des détracteurs, des décroissantistes entre guillemets, c'est-à-dire qu'on va traiter quelqu'un de néo-malthusien ou de malthusien parce qu'il prend en compte l'idée de... l'idée qu'il pourrait y avoir une limite à la croissance de la population du fait d'une problématique écologique ou d'une problématique de ressources. Alors je trouve que ce terme est incorrects, je trouve que c'est plutôt des écomaltusiens et en pratique... Alors, il y a, tout un débat là-dessus, la majorité des écolos et la majorité des décroissants ne sont pas maltusiens. En particulier en France, où on a globalement une écologie de gauche qui se méfie beaucoup de ce sujet-là, et a raison, c'est un sujet rapidement glissant, il y a très peu d'intersections entre les deux.
Ok, on va y revenir de toute façon, pour regarder quel est le lien entre tous ces sujets. Je voudrais qu'on revienne sur ce qu'on est en train de vivre.
Ce qu'on appelle la grande accélération en fait de tout, puisque en 200 ans... Et la meilleure manière d'illustrer ça, enfin une des manières d'illustrer ce qu'on est en train de vivre, c'est souvent de parler de démographie, de parler du fait qu'en 1806, je crois, on a atteint un milliard, trois milliards en 1960 et aujourd'hui huit milliards, et que donc on peut avoir ce prisme de lecture pour expliquer presque l'histoire moderne. Soit le fait démographique explique tout un tas de choses, comme le dépassement des limites sur lequel on va revenir, soit il est la conséquence d'autre chose, mais dans tous les cas il peut être présenté comme significatif.
Toi, quel est ta lecture de ce phénomène d'accélération ? Quels enseignements ont tiré et qu'est-ce que ça pose comme question sur la suite.
Alors, moi je me mets ici de voir ce phénomène d'accélération de manière trop globale. D'un point de vue démographique, on sait ce qu'il s'est passé, il s'est passé ce qu'on appelle la transition démographique, qui est le passage d'un monde justement malthusien où il y a une forte mortalité, une forte natalité, à un monde comme le monde aujourd'hui dans les pays développés, où on a faible natalité, faible mortalité. Et la période transitoire, c'est une période où la natalité met du temps à rattraper la baisse de mortalité, donc la population augmente. Et ça c'est un phénomène qui avait d'ailleurs commencé à l'époque de Malthus, Malthus l'a aussi loupé, mais il y avait les débuts de la transition démographique en Europe, en particulier en France, qui était le pays le plus dense à l'époque. Il faut voir la France, c'était au 18e siècle, c'était 20 millions d'habitants, c'était un quart de la population européenne, c'était vraiment le géant démographique de l'Europe. Et d'une part, il y a eu un certain nombre de progrès sur la mortalité, avec les premières bases d'hygiène, de médecine, des progrès sur l'alimentation, notamment la pomme de terre, qui a très fortement diminué les famines. Et tout ça a fait qu'entre ça et les limites culturelles, la population, par exemple en France, la natalité a baissé assez vite. Elle avait pas mal baissé au XVIIIe siècle. Et sur ces limites culturelle et sur cette idée que justement, alors contrairement à cette vision malthusienne de la population et exponentielle, on y a un certain nombre de règles qui ont été appliquées pour répondre à cette contrainte. Les principales, on les connaît en fait, c'est des choses qui restent un peu aujourd'hui, c'est d'une part qu'on n'a pas d'enfants avant d'être capable de subvenir à leurs besoins, ce qui veut dire à une époque où les gens font de l'agriculture, qu'on n'a pas d'enfants avant d'avoir sa ferme, c'est-à-dire d'avoir hérité de ses parents ou d'avoir un un emploi stable ailleurs, uniquement les aînés héritent, donc les cadets s'ils ne trouvent pas ailleurs, ils s'en vont et sinon ils n'ont pas d'enfants, et donc ces règles là, ce qu'on appelle le système de mariage européen, ça a déjà fortement limité la natalité dès le 18e siècle.
Donc on a ces contrôles qui arrivent et qui sont une traduction dans les règles sociales de contraintes sur les ressources. Et donc on a déjà ce mécanisme là, qui a commencé à l'époque de Malthus, et qui a explosé au XXe siècle, parce que la majorité de l'humanité a fait sa transition à ce moment là, et même depuis 1950, qui a fait sa transition. Et donc c'est pour ça que ce phénomène là, et plus ce phénomène se fait vite, de manière harmonieuse, etc., et plus la mortalité, plus la natalité rattrape la mortalité vite et moins il y a d'augmentation mais c'est pas le cas partout.
Alors, où on en est aujourd'hui ? Je voudrais qu'on compose un peu les choses, soit l'effet marquant de la démographie mondiale, entre vieillissement et les courbes de projection, etc.
Ouais, alors quand on regarde cette courbe, comme tu dis, courbe de grande accélération, on voit toutes ces courbes, c'est très impressionnant, on a l'impression que ça des excès des exponentiels, que ça va crever le plafond et que voilà. Quand on zoom, c'est un peu plus compliqué. Quand on zoom, on voit notamment que sur la population, cette courbe s'aplatit, sur la population mondiale. Le maximum de taux de croissance de la population mondiale, il était en 1968, autour de 2% par an, aujourd'hui on est à moins de 1% par an. Et ce taux il continue à baisser, tout simplement parce que la majorité de l'humanité est en train de faire sa transition démographique.
Alors les grandes tendances c'est quoi ?
Les grandes tendances c'est l'allongement de la durée de vie, qui continue à progresser partout. C'est la baisse des mortalités, notamment de la mortalité infantile, qui est dans tous les pays où elle n'est pas déjà très basse. Il se trouve que dans les pays riches, aujourd'hui par exemple en France, elle commence à augmenter légèrement du système de santé. Et autre phénomène qui est important, c'est que les gens ont des enfants de plus en plus tard. Et ça a vraiment pas mal changé. Maintenant je crois qu'on est presque à 30 ans en moyenne en en France pour pour l'âge du premier enfant et il y a 50 ans c'était plutôt 20 ans. Donc ça c'est très très fort changement et donc il y a toutes ces toutes ces tendances là qui se regroupent et après donc les grandes tendances sur la natalité c'est la transition démographique dans les pays qui ont une forte natalité. Aujourd'hui donc j'avais fait des calculs en 2019 on doit être un petit peu moins des pays qui sont à plus de trois enfants par femme c'est 20% de la population mondiale, c'est très largement l'Afrique intertropicale, c'est pas l'Afrique du Nord et l'Afrique du Sud qui sont plus riches, mais l'Afrique du milieu, et quelques pays plus pauvres d'Asie comme l'Irak, l'Afghanistan, voilà. Les pays qui sont au milieu, qui sont entre deux et trois enfants par femme, c'est plus 20 ou 30% de la population mondiale, et les pays qui sont à à deux enfants par femme au moins, donc qui ont atteint la stabilité ou qui sont en dessous, c'est la moitié de la population.
Donc on voit, c'est déjà bien avancé.
Je crois que dans les années 60, et tu en parles dans ton livre, on avait théorisé l'idée de bombe démographique. Et on l'entend encore parfois. Il y a des projections qui sont très, très larges, mais certains disent qu'on va très vite arriver à un plateau et que finalement, on ne dépassera pas les 9, 10 milliards. D'autres font des projections à 14 milliards. Voilà, comment tu fais le tri là-dedans ?
Alors, il y a deux questions. On va revenir sur le terme de bombe démographique et son histoire un peu après. Et par contre, on va continuer sur les projections.
Fais comme chez toi.
Aujourd'hui, ce que font les démographes, c'est qu'ils projettent les tendances démographiques. Ils n'ont pas de boule de cristal sur la prochaine épidémie ou la prochaine guerre mondiale, mais sur les tendances dont on a parlé, de baisse de natalité, d'augmentation de la durée de vie.
On a une idée, et on a en particulier une bonne idée à court terme, parce que à court terme, le court terme étant 10, 20, 30 ans, en fait la majorité des gens qui vivront, ils vivent déjà, ils sont déjà là.
Et donc, on prolonge ces tendances, il y a des débats sur à quelle vitesse, qu'est-ce qui va se passer, en particulier les grands débats aujourd'hui, c'est à quelle vitesse l'Afrique va faire sa transition démographique.
Ça a été une des surprises des projections précédentes, c'est que l'Afrique a fait sa transition moins vite que ce qu'on attendait.
Les gens étaient partis sur le modèle de l'Asie, qui l'a fait plutôt rapidement, en particulier l'Asie de l'Est, et à l'inverse, par contre, il y a d'autres pays comme l'Amérique latine qui l'ont fait plus vite que ce qui était attendu. Mais donc aujourd'hui, l'Afrique a une transition qui est plus longue que prévue, et ça se traduit dans la population maximale, c'est-à-dire qu'aujourd'hui l'Afrique est à peu près 1,3 milliard d'habitants. Les projections d'il y a 30 ou 40 ans, elles pensaient que l'Afrique allait plafonner à 2 milliards, aujourd'hui on pense que ça sera un peu en dessous de 4 milliards. Donc ça a quand même été multiplié par deux entre temps. Et ça fait beaucoup. Et c'est le continent dont vraiment la population va être bouleversée. Autant d'ici 2100, on peut dire que sur la plupart des continents, la population va augmenter, baisser un peu, 10, 20 %, enfin voilà, mais ça va rester dans le même ordre de grandeur. L'Afrique, il y a une forte évolution. Et ça pose des questions évidemment d'ordre écologique sur lesquelles on vient.
Et donc ces projections, aujourd'hui, selon les sources, alors il y a trois grands instituts qui font différentes projections avec différentes méthodologies, il n'y en a aucune qui est parfaite, mais voilà, ils ont tous différentes optiques, elles pensent que la population va plafonner entre 9,5 et 10,5 milliards d'habitants, et que ça sera entre 2050 et 2100.
Mais ça donne un ordre de grandeur qui est déjà pas mal, Parce que sur la population mondiale, du coup, ça fait au moins 10% près à l'échelle globale, c'est pas tant que ça.
Ok. Merci pour cette intro dans les grandes masses, et on va revenir un peu plus tard sur la difficulté aussi à tirer des conclusions à partir de moyennes, je pense que ça peut être un sujet important. Mais je voudrais qu'on explore plus particulièrement le lien qu'il y a entre l'explosion démographique et la démographie d'une manière générale, et puis la tension, les tensions qu'on a sur l'écologie, sur les ressources, qui sont des questions clés, puisque ces problématiques-là sont évidemment, essentielles pour comprendre ce qui se joue dans les prochaines décennies. J'ai quand même un peu parlé de ça déjà dans le podcast, et puis c'est aussi comme ça que tu y es venu, comme tu y as dit. Et puis, on arrive en fait assez rapidement à cette question qui est de savoir qui est le responsable, entre guillemets, entre la surpopulation ou, basiquement, la consommation insoutenable des plus riches. Ça nous amène à réfléchir après sur les leviers ou, en tout cas, à pouvoir s'écharper sur les plateaux de télé. Je voudrais commencer par définir un terme important, qui est le terme de surpopulation. Et tu cites dans ton livre Yves Charby, qui dit que le terme de surpopulation pose plus de questions qu'il n'en résout. Et tu évoques notamment la confusion entre le sentiment de surpopulation et celui de misère qu'on peut avoir parfois. Comment on définit la surpopulation ? Ça veut dire quoi, en fait ?
Ça ne veut rien dire. La surpopulation, c'est un jugement de valeur dans lequel la réponse est déjà dans le mot qu'on estime qu'on est trop. Et donc effectivement on peut dire qu'on est surpeuplé, c'est un jugement de l'individu, mais quelle est la réalité derrière, c'est très difficile à dire, parce que surpeuplé par rapport à quoi ? Surpeuplé qui est en trop, personne n'est d'accord, dès qu'on rentre dans ces détails-là, et donc d'où la réponse d'Yves Charbi, c'est un terme qu'on n'aime pas et c'est un terme qui a un passif, parce qu'évidemment, alors on va reparler de la bombe population, c'est l'occasion.
La bombe population c'est le terme d'un livre de Paul Ehrlich, Paul Ehrlich était un otomologiste, je crois, un spécialiste des papillons, qui a écrit en 68 ce pamphlet, la bombe P, qui était un des gros best-sellers de l'écologie, c'est des millions, peut-être même 10 millions de livres vendus. Et c'est un des grands livres qui a créé, à cette époque-là, dans les années 70, la conscience écologique mondiale, et qui a influencé du coup des tonnes de gens. Et donc ce livre, il commence par l'expérience du touriste Paul Ehrlich, qui est à Delhi, il est dans un bidonville, dans son taxi, et il dit « c'est plein de gens, c'est sale, ça sent mauvais, c'est bruyant, c'est ça la surpopulation ». Et c'est très intéressant parce qu'en fait, il a complètement raté la situation de Delhi, parce que Delhi, c'est une ville qui est moins dense que Paris et New York. Qui en tout cas à l'époque étaient moins denses que Paris ou New York, qui selon la plupart des polluants étaient moins pollués, qui a une population qui vient en majorité de l'exode rural, où ces gens étaient encore plus miséreux, mais ils étaient plus loin des caméras, et où quand ils passent de leur campagne à l'asile, ils ont beaucoup moins d'enfants. Pour plein de raisons, notamment parce qu'un enfant en ville c'est plutôt un coût , alors qu'un enfant à la campagne, c'est plutôt une paire de bras, pour résumer. Et donc les gens ont beaucoup moins d'enfants quand ils viennent à Delhi. Et donc cette vision, en fait, c'est une vision de la misère et de la misère exotique, sur laquelle on met un nom de surpopulation, qui fait complètement rater les phénomènes sociaux qui sont importants, qui sont derrière, qui sont des phénomènes de transition démographique, d'exode rural, de création des villes, d'urbanisation un peu anarchique au début, mais on est passé par là, il y avait des bidonvilles à Paris il n'y a pas si longtemps, et donc ce livre de Pompey a eu un impact gigantesque, et aujourd'hui il n'a pas très très bien vieilli. Paul Ehrlich dit, balance, voilà on est trop... et donc il faut laisser crever de faim les gens dans les pays pauvres, parce que de toute façon ils n'auront pas de quoi se nourrir. Et dans les pays riches, il faut forcer à réduire le nombre d'enfants, par exemple en mettant des stérilisants dans l'eau du robinet, ce genre de choses. Et c'est rempli de réflexions qui… C'est un peu Thanos, cette idée.
On repartira de Thanos, on parlera de Thanos, parce que c'est très intéressant pour réfléchir à ce sujet. Et c'est rempli de réflexions qui fleurbont la guerre froide, où en gros, si la population mondiale n'est pas contenue, à chaque fois c'est l'URSS qui gagne.
Voilà, et donc c'est vraiment un pamphlet qui est très mauvais et qui pourtant a posé le débat !
Ok, il y a tout de même un lien en fait entre l'explosion démographique et la crise des ressources et on a tous en tête, enfin tous, j'extrapole totalement, on peut mentionner ici l'équation de l'IPAT que tu évoques dans ton livre ou l'équation de Kaya qui est peut-être qui est peut-être plus utilisé, qui a un modèle de simplification du monde, comme tous les modèles, mais qui tend à dire qu'il y a un lien entre, notamment, la crise écologique, nos émissions, la crise climatique, etc., et la population. Alors est-ce que tu peux expliquer ce modèle et me dire ce que tu en penses, en fait ?
Oui, alors on va partir d'IPAT, qui est l'équation la plus utilisée dans la recherche, sachant que CAIA a été pas mal popularisée en France par Jancovici ou Giraud et et autres, donc les gens n'ont plus entendu parler mais c'est presque la même chose. Alors IPAT, qu'est ce que c'est ? C'est une décomposition qui est une identité, c'est à dire qu'en gros on part d'une moyenne, on dit la moyenne par exemple des émissions par personne, ça peut valoir pour n'importe quoi, c'est les émissions divisées par le nombre de personnes, on est d'accord ? Et ça rajoute en plus le niveau de vie, donc qu'on appelle A, et donc c'est la moyenne des émissions par personne c'est la moyenne du niveau de vie par personne fois les émissions par niveau de vie. Et donc ça en fait ça nous fait une équation qui est impact.
Ici on a dit que c'était les émissions, mais ça vaut pour n'importe quoi, c'est population x niveau de vie par personne x un facteur qui est appelé T, technologie, mais qui en fait regroupe tout, parce que c'est le terme résiduel de division du reste. Et donc c'est juste, mais est-ce que ça nous dit quelque chose ? Et la version KIA, on rajoute une décomposition par énergie, en mettant l'intensité d'émission de l'énergie et l'énergie par niveau de vie.
Et donc on aurait pu faire la même équation avec je sais pas la production de pommes de p égale la production de patates.
Et tu sais quoi ? Quand tu regardes les courbes, la production de patates mondiale, je suis sûr qu'il y a une grande accélération, exactement pareil et que c'est parfaitement bien corrélé avec tout le reste.
Donc, est-ce que c'est vrai ?
C'est vrai.
Et en même temps, ça nous fait rater plein de choses.
Alors, moi je dirais qu'il y a trois choses importantes. Déjà que c'est un choix. Donc c'est une équation qui est vraie, donc c'est un choix de variable, mais ça ne nous dit pas tout le reste. Par exemple, il y a plein de choses qui ne sont pas dans ces variables. Par exemple, où est Emmanuel Macron qui a dit « make the planet great again » et qui a fait exactement l'inverse à chaque fois ? Il n'est pas dans l'IPAT. Alors, je ne suis pas sûr de comprendre le lien. Ce que je veux dire c'est qu'un certain nombre de facteurs, comme par exemple des facteurs politiques, mais en fait tout ce qui n'est pas dans cette équation n'est pas dedans. Oui, c'est pas l'ensemble du réel, c'est un modèle... C'est pas l'ensemble du réel, c'est une décomposition. La deuxième question, c'est une question de niveau d'analyse. Alors ça reste vrai à tous les niveaux, ça reste vrai au niveau de la population mondiale, tout comme c'est vrai à l'échelle individuelle, P égale 1.
Mais c'est plus ou moins pertinent, parce que dans cette population mondiale, on compte pour un, le milliardaire américain, l'indien d'Amazonie, et du coup on met leurs moyens ensemble. Est-ce que si on ajoute un indien d'Amazonie, on augmente l'impact comme quand on ajoute un milliardaire américain ?
Ça n'a absolument rien à voir. Et la troisième question, c'est de manière dynamique, qu'est-ce qui se passe si on modifie l'un des termes ?
Là je lève les yeux au ciel parce qu'en fait personne ne sait vraiment, et en particulier alors on a des idées par exemple quand on améliore T on a ce qu'on appelle l'effet rebond, ça on en parle souvent dans le monde de l'écologie, quand on est plus efficace par exemple j'achète une voiture efficace et ben en moyenne il y a autour de je vais plus m'en servir à peu près 20% plus que ça va manger à peu près 20% des économies d'énergie, mais ça c'est juste l'effet rebond sur la voiture, Je vais économiser de l'argent que je vais dépenser d'une autre manière.
Et donc, ça va faire autre chose. Ça pourra avoir d'autres émissions. Le pétrole que je n'aurais pas consommé, il sera peut-être consommé par quelqu'un d'autre. Et donc, quand on calcule l'effet rebond à l'échelle de l'économie entière, en fait, on se rend compte que ça mange entre 50 et 100 % des gains d'efficacité.
C'est gigantesque. Si je comprends bien ce que tu dis, c'est que c'est une équation qui, est une modélisation du RL qui fonctionne parce qu'elle est, entre guillemets, empiriquement observable, mais dont on ne peut pas faire grand chose, c'est ça ?
C'est une identité comptable, je dirais qu'en termes de modélisation du réel, c'est vraiment très simple, c'est très primitif.
Mais ce que tu dis, c'est quoi ? So what ? C'est-à-dire qu'on ne peut pas en tirer de conclusion, on ne peut pas en tirer d'action, c'est un peu ça qu'on doit comprendre ?
On peut en tirer certaines idées, on peut en faire certaines décompositions pour lesquelles il faut être très prudent, et en particulier, on a cette question sur la population. Alors, dans Ipad, Kaya, la population est un facteur multiplicatif, donc on considère que si on était deux fois moins, on polluerait deux fois moins. Et donc ça, je trouve ça très intéressant comme réflexion, qu'est-ce qui se passe si on était deux fois moins. Alors, si on était deux fois moins parce que par exemple on aurait suivi les préconisations d'Erlich et on aurait zigouillé une partie de la population mondiale il y a 50 ans, est-ce qu'on serait deux fois moins parce que Thanos a claqué des doigts et a dit on serait deux fois moins ?
Qu'est-ce qui se passe ? Déjà, est-ce qu'on ferme la moitié des puits de pétrole ? Pas forcément, on est dans un monde en fait où on a une offre et une demande de combustible fossile qui varient.
Et où en fait on se retrouve avec plus de combustible disponible par personne, et donc on va avoir un équilibre qui va être différent, voilà, qui va être de la même sorte que les phérobons. On va avoir potentiellement un rattrapage démographique, on va avoir potentiellement un rattrapage écologique, parce qu'en fait au rythme actuel d'augmentation des émissions, en divisant la population par deux, on aurait juste gagné quelques années. Et donc je reviens à Emmanuel Macron et son mec de Planet Preach Again, en fait on n'a répondu à aucun des grands déterminants politiques, culturels, philosophiques, etc. de la crise écologique. C'est-à-dire que dans ce monde où on est deux fois moins, les riches ont toujours intérêt à polluer et c'est principalement les pauvres qui vont en être victimes.
C'est principalement aussi les gens qui sont là aujourd'hui, qui ont intérêt à polluer, et les gens qui ne sont pas encore nés, qui en seront les principales victimes.
La tragédie des horizons. C'est un monde où c'est toujours difficile de collaborer, c'est un monde où il y a une culture consumériste, c'est un monde où il y a toujours du lobbying, et où il y a toujours des entreprises qui ont intérêt à détruire l'environnement d'une manière ou d'une autre. Et donc c'est un monde où finalement on n'a répondu à absolument aucun des grands obstacles, ou des grands mécanismes qui font qu'aujourd'hui, on n'y arrive pas. Alors que c'est vrai que depuis l'époque d'Ernst Lisch, on sait. On sait globalement ce qu'il faut faire. On a les grandes lignes de ce qu'il faudrait faire et on ne l'a pas fait. On est très très loin de l'avoir fait à la hauteur de ce qu'il fallait. Alors on va revenir sur ce qu'il faudrait faire. Je voudrais qu'on profite d'être sur une équation pour parler de cette idée qu'on a un tout petit peu évoquée qui est la notion de moyenne.
Et comment le fait de parler de moyenne peut nous empêcher de voir réellement ce qui se passe, parce que finalement, on parle à chaque fois de grandes masses, qu'on peut interpréter de plein de manières, comme tu l'as dit, et que quand on parle de la moyenne, du comportement moyen d'un français, en fait, ça veut tout et rien dire. C'est-à-dire que c'est une indication qui va nous permettre de faire des calculs, mais ça ne nous dit rien en termes de ce qu'il faudrait faire politiquement pour améliorer les choses et des leviers à activer. Est-ce que tu peux parler un petit peu de ça, peut-être avec quelques exemples pour nous montrer comme quoi ça peut être trompeur.
Oui, alors je trouve que le meilleur exemple, c'est de dire sur les huit milliards d'habitants, on compte pour un l'Indien d'Amazonie et le milliardaire américain, alors qu'ils ont des impacts extrêmement différents. Alors, ils ont des impacts extrêmement différents à la fois par leur consommation, mais partout, parce que le milliardaire américain, il est actionnaire, il a sans doute un poids politique, il participe à une certaine culture.
Il y a beaucoup plus de choses à dire que juste le bilan carbone son yacht et de son jet. Et donc j'aime bien cette formule qui est que quand Bill Gates entre dans un bar, en moyenne tous les clients sont milliardaires, ça marche aussi pour les petites conférences, si Bill Gates était dans la salle en moyenne vous serez tous milliardaires, ça dit absolument rien sur la richesse de la majorité des gens dans la salle, ça dit juste que Bill Gates est très riche. Et il se trouve que quand on regarde la répartition, par exemple des émissions, les calculs, alors il y aurait des choses à dire sur le détail de ces calculs, mais grosso modo, les 10% les plus riches de l'humanité sont responsables de la moitié des émissions. Et à l'intérieur de ces 10%, on peut même aller regarder encore les 1% les plus riches, je ne sais plus combien, mais je crois 10% des émissions totales. Et donc oui, c'est extrêmement trompeur. Extrêmement déséquilibré. Et par contre, c'est probable que la majorité des auditeurs soient dans les 10% les plus riches de l'humanité.
Il faut bien en être conscient, le Français moyen est dans les 10 % les plus riches de l'humanité. Après, même par niveau de richesse, il y a une dispersion importante.
Quand on regarde en France, par exemple, parmi les 10 % les plus pauvres, ceux qui émettent le plus, ils émettent plus que ceux qui émettent le moins des 10 % les plus riches.
Oui, c'est ça.
C'est très difficile. C'est comme quand on parle d'inégalité, justement, de revenus, en disant que les les 1 % détiennent tant. En fait, quand on regarde dans le détail quant au zoom, on se rend compte que c'est les 0,01 % qui constituent la masse de ces 1 %. Alors ça, c'est encore plus ça, mais ce qu'il y a comme limite, c'est la décomposition entre richesse et émission, qui n'est pas toujours si linéaire que ce qu'on voudrait.
Elle l'est en moyenne, et c'est plutôt vrai, mais quand on regarde dans le détail, c'est un peu plus compliqué.
Est-ce que tu peux me parler de la problématique de soutenabilité et définir le concept de capacité de charge et d'empreinte écologique, qui sont des terres que j'ai toujours un peu de mal à encadrer, pareil, qu'on entend souvent émerger dans ces débats ou dans les équations, enfin voilà, de quoi on parle. Alors dans le livre, je me pose la question, c'est quoi sauver la planète ? D'ailleurs ce terme est un petit peu naïf, qu'est-ce qu'on met comme terme ? Qu'est-ce qu'on met comme réalité concrète derrière ?
Et il y a différentes visions de ce qu'est un monde soutenable qui, je pense, sont intéressantes à avoir en tête parce qu'elles sont importantes pour ce débat, des visions de soutenabilité faible, où globalement la nature ne vaut que par son utilité pour l'homme. Pour résumer, et des visions de soutenabilité forte où la nature vaut en en elle-même. Et c'est un des grands enjeux de ce débat, parce que plus on considère que la nature a de valeurs en elle-même, plus on considère que l'utilisation que l'homme en fait est un problème, et donc, fatalement, le facteur démographique devient quand même important.
Et c'est vrai qu'il y a des gens qui ont une vision de ce qu'est un monde soutenable, qui n'est pas compatible avec une population humaine qui dépasserait quelques millions de personnes. Et ils vont vous dire ça, ils vont vous dire, moi un monde soutenable c'est un monde où il n'y a plus de civilisation, où il n'y a plus d'industrie. Et donc, par la force des choses, il faut qu'on soit beaucoup moins, parce qu'on n'est pas capable de vivre à 8 milliards sans civilisation et sans industrie.
Donc il y a cette partie là du débat. Ce qu'est la capacité de charge ? Alors la capacité de charge c'est un terme de biologie, d'écologie on va dire, qui est la biologie des environnements, des milieux, des équilibres. Ce qu'on appelle capacité de charge, c'est combien d'individus peuvent vivre dans un milieu. Alors c'est un terme qui est vraiment, on va dire, c'est le niveau zéro de l'écologie. C'est quelque chose qui est vrai dans un laboratoire, dans une boîte de pétri ou une éprouvette où tu contrôles tout. Dans le monde réel, les milieux sont jamais fermés, sont généralement ouverts, ils sont changeants, ils changent constamment en fonction des saisons, des autres espèces, du climat, etc. Et ils sont pas homogènes.
Ils ont plein de variations. Et donc ce principe de capacité de charge qui est un peu instinctif, de se dire à combien ça tient, et donc à combien ça tient sur Terre, dès qu'on essaye de l'appliquer dans l'Asie réelle, en fait, il s'écroule. Et ce concept de capacité de charge, il a tout un historique politique.
Quand on parle du Lebensraum des Allemands qui voulaient avoir assez de place pour vivre, c'est exactement une traduction du concept biologique.
Et dans beaucoup de visions du nazisme, mais globalement d'autres régimes fascistes de cette époque, il y a cette origine-là, de se dire on va justifier notre velléité de conquête, nos prétentions territoriales, etc. par une loi naturelle.
On retrouve la justification de l'ordre social par des lois naturelles qu'on avait dans Malthus, on l'a constamment dans ce sujet. Et évidemment, c'est extrêmement douteux, parce que ça dépend entièrement de la manière dont les Allemands vont vivre, tout est douteux dans ce sujet-là.
Et l'empreinte écologique ? L'empreinte écologique, c'est un calcul qui essaie de regrouper l'utilisation des ressources renouvelables.
Donc dans les ressources renouvelables, on met les cultures, les pêcheries, les forêts, et en plus, ils rajoutent le climat en le comptant en superficie de forêt qu'il faudrait planter pour absorber les émissions.
C'est embêtant. donc cette empreinte écologique, elle essaye d'agréger des choses. Déjà, on voit qu'elle n'agrège pas un certain nombre de problèmes écologiques, parce qu'elle ne parle pas de biodiversité, d'eau, de sol, de couches d'ozone, de polluants, de... Voilà.
Souvent on en reste aux émissions carbone. C'est vraiment ces émissions carbone plus ressources renouvelables, et elle a un problème de construction, c'est que les ressources renouvelables, par définition, elles sont à à l'équilibre, c'est à dire que l'humanité utilise à peu près 100% des terres cultivées.
Par définition, l'humanité utilise alors pas 100% mais pas très loin des pêcheries, donc ça c'est pas une réussite, ça veut dire qu'il y en a un certain nombre qui sont épuisés, enfin qui sont en voie d'épuisement, et l'humanité utilise une petite partie de ces forêts, de sa capacité de régénération de ces forêts. Et donc, quand on regarde les ressources renouvelables, l'humanité est par définition en dessous de sa capacité en empreinte écologique.
Et comment on a ce genre du dépassement ?
En comptant le carbone et en comptant les émissions en superficie de forêts qu'il faudrait planter pour absorber. Et donc, ça c'est embêtant parce que personne ne pense qu'il va falloir absorber toutes nos émissions en plantant des forêts, parce que quand on fait le calcul, on se rend compte qu'effectivement on dépasse toute la superficie terrestre et que ça ne tient pas. Et donc ce jour du dépassement dont on parle une fois par an, c'est une occasion de parler d'écologie, etc.
Mais la base du calcul est le fait qu'il augmente chaque année, et bien il augmente parce que l'humanité émet de plus en plus de CO2.
Donc, malheureusement, il y a un certain nombre de gens qui font un raccourci empreinte écologique égale capacité de charge, et donc il faudrait qu'on soit deux fois moins, parce qu'on est en gros à deux planètes.
En fait, c'est absolument pas le cas, il faudrait juste qu'on arrête d'émettre, et dans ce cas-là, d'emmettre du CO2, ce qu'il faut faire de toute façon, et dans ce cas-là, on serait à l'équilibre.
Mais on n'aurait pas résolu la plupart des problèmes écologiques par ailleurs.
Donc ce concept d'empreinte écologique, il a pas mal fait couler d'encre dans le monde de la recherche, Il n'est pas inintéressant pour calculer des bilans, notamment d'échanges entre pays, parce qu'on voit qu'il y a des pays qui importent ou qui exportent de la consommation de capacité, par contre, il ne nous dit pas ce qu'est un monde soutenable.
Qu'est-ce que tu penses de la notion de limite planétaire ?
La notion de limite planétaire, alors elle-même, il y a des débats sur où est exactement le niveau de la limite, parce qu'il n'y a jamais de limite en dur, c'est-à-dire que, par exemple, n'y a pas un point où, quand le climat, le réchauffement est avant, tout va bien et après, tout s'effondre. C'est un continuum d'emmerdes croissantes, et c'est vrai pour la plupart des sujets, avec un certain nombre de points, mais dont on ne maîtrise pas trop la position, où là, ça peut empirer un peu brusquement. Oui, ou alors c'est plus facile à voir sur le vivant, par exemple, quand on parle de disparition d'une espèce, où là, la limite a été atteinte de non soutenabilité. C'est un point. Mais la limite de non soutenabilité par exemple qui avait été donnée pour les espèces, c'est un taux d'extinction. Donc il y a un taux d'extinction d'espèces qui est naturelle. Aujourd'hui on est nettement plus haut et donc ils ont mis une limite qui est entre les deux.
Où doit être exactement cette limite ?
Il y a débat, mais l'intérêt de ces limites planétaires, c'est que déjà, généralement, les gens ne prennent pas la limite pile comme un indicateur de ce qui est soutenable ou pas.
Et après, il y en a plusieurs. C'est multivarié. Et donc, ça donne les grandes familles de pollution, de problèmes environnementaux, et donc ça permet d'avoir une couverture assez large de la question. Mais ça fait pas tout, ça parle pas des ressources par exemple.
Je voudrais qu'on aille sur l'idée de responsabilité, qu'il y a derrière toutes ces notions en fait. Je trouve ça très difficile de faire le tri entre responsabilité individuelle et responsabilité collective, puisqu'à partir du moment où on parle de l'humanité au sens large, ou du poids de l'humanité sur son environnement. Comme une grande masse, forcément la responsabilité individuelle se noie, et on sait plus quoi vraiment faire de ces chiffres.
On veut réfléchir sur sa propre responsabilité, on est complètement perdu parce qu'on se dit que finalement on n'est responsable de rien, à notre échelle ça n'a rien de compte. Comment toi est-ce que tu poses les termes de cette réflexion ?
Alors je pense déjà qu'on n'aura jamais une responsabilité et qu'il faut bien être conscient qu'on peut avoir plusieurs prismes. Et donc que ces prismes donnent des visions qui ne sont pas exclusives mais au contraire qui sont complémentaires. Donc par exemple, il y a eu tout un débat sur ce chiffre, 70% des entreprises, enfin je crois, 100 entreprises sont responsables de 70% du réchauffement, etc. Alors comment est-ce que ce chiffre a été obtenu ? C'est des extractions de combustibles fossiles. Et donc ça, ce que ça nous dit, c'est que c'est un domaine économique qui est assez concentré. Voilà, ce dont on se doutait.
Oui, ou dans un style, la responsabilité de Total...
Voilà, et donc dedans on compte Total, BP et autres. Donc ça nous dit une chose, c'est que ces gens là effectivement ils ont une part de responsabilité parce qu'ils ont fait les émissions. Est-ce que c'est celui qui est responsable, c'est celui qui aimait, c'est celui qui a fait pardon, qui a extrait le pétrole, est-ce que c'est celui qui l'a raffiné, est-ce que c'est celui qui a construit la voiture, est-ce que c'est celui qui a construit les routes, est-ce que c'est c'est celui qui a acheté le pétrole à la pompe pour le brûler dans sa voiture.
Ils ont chacun une part, et ils ont chacun une part à jouer, on a beaucoup tendance, ce que je trouve intéressant aujourd'hui c'est que dans le discours public, et en particulier le, discours des pouvoirs publics en France, mais c'est le cas dans beaucoup de pays, on a tendance à focaliser sur la responsabilité du consommateur individuel. Donc déjà ça détourne de tous les, réseaux de responsabilité individuelle, parce qu'individuellement on n'est pas qu'un consommateur, on est un citoyen, on est un être social, on est un travailleur, on peut être un actionnaire, on peut être un décideur, on a un certain nombre de rôles différents, et après ça détourne des responsabilités sociales. Et c'est vrai que Total et globalement les pétroliers, ils n'ont pas juste innocemment extrait du pétrole que des vilains consommateurs leur demandaient. Ça fait par exemple exemple 50 ans que les entreprises des hydrocarbures financent la désinformation et financent du lobbying pour essayer de tuer tout ce qui pourrait les limiter, donc ces gens ont aussi un pouvoir qui dépasse largement leur rôle purement économique. Donc je pense qu'on n'a pas de réponse absolue, on n'arrive pas à et on n'arrivera jamais à séparer et qu'il faut être conscient qu'on aura plusieurs responsabilités individuelles, qu'on aura plusieurs responsabilités collectives et par contre comment faire le lien entre les deux, on a toujours l'idée de se dire. Si moi je suis une goutte d'eau, mais je pense qu'il faut réfléchir en si on était un certain nombre de gouttes d'eau, quel serait cet effet ? Et dans ce cas là, si je peux être parmi une de ces gouttes d'eau, je dévise l'effet total par mois. Et là tout d'un coup on se rend compte que ça peut être plus important. Par exemple il y a toute cette question de social tipping points, où pour faire changer des choses, il y a besoin d'entre 5 et 20% de la société. Donc il n'y a pas besoin de 100%, mais il y a besoin d'un certain nombre de gens assez motivés.
Et donc si on fait partie de ces gens qui sont motivés et qui sont actifs et vraiment efficaces, et bien en fait on a une part qui peut être beaucoup plus élevée, qui peut être 20 fois plus élevée que notre participation dans la société, en tant qu'individu, en tant que population.
Alors si on reboucle avec l'idée de démographie, comment formuler ça ? Moi j'ai toujours mis de côté pour l'instant ce sujet-là, et on me l'a souvent dit en commentaire, en me disant « ouais, tu parles pas encore de le problème de la surpopulation, etc. », parce qu'il y a une forme d'impuissance en fait quand on s'y frotte. C'est-à-dire que je dis « ok, c'est peut-être, ça fait partie de l'équation, mais alors ? ». Une fois que j'ai dit qu'on était trop sur terre ou qu'il y avait trop d'enfants ou je sais pas quoi, je suis « qu'est-ce que je peux faire à partir de ça ? ». Donc j'ai plutôt tendance à le prendre comme une donnée que je ne maîtrise pas et qu'il faut prendre en compte, et donc qu'il n'est pas vraiment un sujet politique, surtout qu'il y a une inertie démographique dont on n'a pas encore parlé, mais qui fait que quand bien même on limiterait la population, voilà.
Toi, comment est-ce que tu définirais le levier démographique ? Est-ce que c'en est un ? Tu as fait le tour du sujet, donc est-ce que tu en arrives à la conclusion qui serait de dire finalement c'est pas vraiment un sujet parce qu'il y a d'inertie, parce qu'on le maîtrise pas, ou alors est-ce que c'en est un d'une manière ou d'une autre.
C'est un sujet mineur, je dirais. Alors, pourquoi ? Alors, un, on ne peut pas parler de ce sujet sans parler un peu d'éthique, de droit à la procréation, qui reste un droit fondamental, et à l'histoire absolument abominable du contrôle des naissances, qui est qu'à chaque fois que des gens ont voulu choisir qu'ils avaient le droit d'avoir des enfants, globalement c'était le genre de gens qui choisissaient qui avaient le droit de vivre, et ça s'est très mal passé.
A été très très sale, que ce soit par des stérilisations forcées, des avortements forcés, des discriminations auprès de communautés, etc. C'est quelque chose qui a, pour se dire à peu près systématiquement, été instrumentalisé et avec lequel il faut être extrêmement prudent. Et quand, on voit les recommandations de Jean-Claude Merlich, la prudence n'est pas là. Après, il y a cette question de levier, alors le levier j'aime bien le voir de deux échelles, à l'échelle globale, à l'échelle individuelle. On peut commencer échelle globale, est-ce que réduire la croissance de la population aurait un effet écologique ? Alors évidemment que oui, mais combien et comment ?
C'est la question. Déjà il faut revenir sur cette répartition, alors on le fait pour le climat, ce qui est sur le climat, on reprend les pays qui ont plus de trois enfants par femme, aujourd'hui c'est 3% des émissions de l'humanité. 3% pour 20% de la population. Non seulement c'est peu, mais en plus ils sont très loin de rattraper les pays riches. Et plus ils ont d'enfants, plus moins ils ont des missions. C'est lié d'ailleurs, la lenteur de la transition démographique c'est lié à la pauvreté, et ça va ensemble. Les pays pauvres globalement sont très loin de rattraper les pays riches. J'avais calculé pour le Nigeria par exemple, qui est un pays peuplé, au rythme actuel il faudrait 150 ans pour que le PIB par habitant du Nigeria rattrape celui de la France. Il y a un peu de marge, quand on prend les échelles de temps de l'écologie, du type la cour de Paris on rappelle ses neutralités carbone en 2050, on est très très loin. Donc sur l'aspect climat c'est négligeable. Ce qui ne veut pas dire que ce n'est pas négligeable pour des questions locales, notamment la population de l'Afrique qui va être multipliée par trois, ça va poser plein de questions sur la protection des espaces, sur l'accès à l'eau, sur les forêts vierges, l'utilisation des terres parce qu'il faudra avoir une agriculture plus productive, enfin etc. Voilà, ça pose plein de questions locales qui ne sont pas des fatalités parce que quand on regarde localement en fait on se rend compte qu'il beaucoup de marges de manœuvre et que par exemple la question de l'eau et ben c'est beaucoup comment est-ce qu'elle est utilisée, question des terres pareil comment est-ce qu'elles sont utilisées aujourd'hui l'accaparement des terres en Afrique c'est pas pour nourrir les africains c'est pour des cultures d'export donc tout ça non négligeable mais en jeu complexe qui est du coup pas si simple par rapport à la population. Après, si on regarde les pays riches, où là, globalement, il y a la majorité de l'impact, on a une faible natalité. Et, différence par rapport aux pays pauvres, globalement, dans les pays à forte natalité, les gens veulent avoir un peu moins d'enfants que ce qu'ils ont. Et donc, on peut dire que, grosso modo, c'est souhaitable de les aider à faire leur transition démographique. Dans les pays riches, généralement, les gens ont moins d'enfants que ce qu'ils voudraient. Et ils ont moins d'enfants, principalement, pour des raisons socio-économiques, c'est-à-dire coût de la vie, incertitude, etc. Et donc déjà ça devient plus compliqué de leur limiter les enfants alors que déjà ils en ont moins que ce qu'ils voudraient en France, c'est un tiers des gens à peu près qui ont en fin de vie moins d'enfants que ce qu'ils auraient souhaité.
Et donc maintenant qu'est-ce qui se passe si on limite les enfants dans des pays riches ?
Alors j'ai pris la France, qui est un bon exemple, qui est une très bonne moyenne des pays riches. Alors aujourd'hui en France on est à 1,8-1,9 enfants par femme, Déjà il y a peu d'enfants au-dessus de 2. On n'a pas de mesures simples qui pourraient réduire la natalité parce qu'en fait les gens veulent plus ou alors on fait des choses comme je sais pas supprimer les congés maternités, je pense pas que ce soit une bonne idée. Ou qu'est-ce qui se passe si on limite les enfants et pour que ce soit efficace en fait il faut un enfant unique. Et un enfant unique qui soit dur parce que l'enfant unique en Chine c'était entre 1,5 et 2,5 enfants par femme, il y a eu plein d'exceptions de tolérance etc. Donc ça réduirait pas tant que ça la natalité aujourd'hui en France. Qu'est-ce qui se passe si on a l'enfant unique dur ? Et bien déjà il faut attendre 2100 pour diviser la population par deux. Ça met pas mal de temps parce qu'en fait les gens vivent 80 ans. C'est ce qu'on appelle l'inertie ? Voilà c'est une question d'inertie démographique, c'est un petit peu différent l'inertie démographique mais voilà on a une inertie là-dessus qui met beaucoup de temps. Après on a une autre différence qui est que quand on réduit cette population on enlève des bébés puis des enfants. Il se trouve qu'ils consomment moins que les adultes.
Et donc quand on fait le calcul des émissions par âge, on réduit encore moins. Et on réduit d'autant moins qu'aujourd'hui on a une trajectoire de baisse des émissions par personne. Alors elle est insuffisante, mais aujourd'hui en France on est autour de 2% par an d'émissions en moins par personne. Et donc ça, ce que ça veut dire, c'est que réduire le nombre de gens dans 100 ans. Et bien en fait ça a moins d'effet qu'aujourd'hui sur le total des émissions. On rappelle le réchauffement est lié ou est proportionnel à la somme cumulée des émissions de CO2. Et donc ce cumul, on ajoute beaucoup aujourd'hui parce qu'on y met beaucoup, si dans 100 ans on a réduit de 2% par an, et bien en fait on émettra nettement moins par personne. Et donc ça c'est le scénario où on continue la trajectoire actuelle. Si on passe à ce qu'on devrait faire, on serait plutôt autour de moins 6% par an. Et donc là quand on réduit de moins 6% par an, les émissions par personne en 2100 c'est rien du tout. Et donc mon calcul, on veut le résultat final, les émissions cumulées en 2100 de combien on les réduit si on est sur la trajectoire actuelle à peu près de 10% si on est sur la trajectoire de accord de paris autour de 3% voilà .
Donc c'est pas zéro d'accord mais c'est pas donc c'est pas le levier donc tu mets donc tu arrives à la conclusion qu'en fait c'était pas le sujet que c'était plus la consommation par personne ...
c'est pas le sujet...
Non mais je t'interroge caractère à dessin mais...
Mais je suis d'accord. Et que en termes d'opportunité, alors tout le monde va dire qu'il faut faire les deux. Des gens vont dire qu'il faut faire les deux. Mais non, il ne faut pas faire les deux. Déjà, non, il ne faut pas tout faire. Il y a des gens qui vont dire qu'il faut tout faire et donc qu'il faut supprimer l'humanité. Mais non, il faut faire des choses qui sont utiles et efficaces par rapport aux alternatives. Et sur cette efficacité, on peut entendre qu'on n'arrive pas à faire, et donc il faut interdire de faire des enfants, mais en fait si on n'arrive pas à interdire aux gens de manger de la viande ou de prendre de la viande, est-ce qu'on arrivera vraiment à leur interdire à faire des enfants ? Et est-ce qu'on veut vraiment que ce soit ça d'ailleurs, qu'on interdise aux gens ? Je pense qu'il y a une question de priorité de société là-dessus, qui est de choix philosophique.
Alors allons-y sur cette question qui est le titre de ton livre.
Après il y a la question individuelle. Est-ce qu'on parle un peu du calcul individuel ?
Vas-y.
Alors, le calcul individuel, il y a des chiffres gigantesques qui ont circulé où on peut lire que faire un enfant est de très très loin le pire pour l'humanité, pour le climat.
Le problème de ces chiffres, c'est que c'est un calcul à très très long terme de toutes les émissions de votre descendance future et hypothétique.
Donc ça n'a absolument rien à voir avec devenir végétarien ou passer à la voiture électrique et c'est quelque chose qui est très théorique.
En pratique, quand on compte les émissions que fera un enfant, qu'aurait un enfant, alors qu'aurait sa consommation, ça ne veut pas dire que si cet enfant est en moins, on aura exactement autant, mais ça donne une borde supérieure, on va dire.
On compte les couches dans les émissions ou c'est un autre sujet ?
Oui, on compte les couches, oui. On compte tout. Pollution, émissions, pollution. Ça brûle bien. Eh bien, maintenant la question se pose, quelle va être la trajectoire de cet enfant ?
Et donc, moi ce que je me dis aujourd'hui, les gens qui renoncent aux enfants pour des questions écologiques, c'est pas ceux qui vont tous les week-ends à Ibiza. Par contre, c'est ceux qui aujourd'hui sont plutôt sur une trajectoire accord de Paris, donc qui sont plutôt sur les 6% par an. Tu veux dire ceux qui se posent la question, donc qui a priori se posent la question. Ceux qui se posent la question ou qui le font. Et qui le font, c'est des gens qui sont assez convaincus. Et donc, quand on reprend les calculs et qu'on les applique avec cette trajectoire de moins 6% par an, et bien on se rend compte que cet enfant, il arrive à peu près une tonne par an.
Alors une tonne de CO2 par an c'est quoi ? Le bilan carbone du français moyen c'est un peu moins de 10 tonnes. Je crois que tu en es plutôt vers 8 tonnes. Donc c'est pas zéro, c'est pas absolument négligeable, mais c'est pas gigantesque, c'est nettement moins par exemple que de devenir végétarien.
D'accord, donc si je comprends bien la question, faut-il faire un enfant ou non ? Ça dépend des parents qui se la posent, c'est-à-dire que si tu as quelqu'un qui a un mode de vie, à voyager en jet privé ou en business class tous les deux mois, cette personne-là, elle devrait quelque part se poser la question de faire un enfant, mais...
Oui, mais elle devrait d'abord se poser la question de son jet-privé.
D'accord. Alors, parce que tu as une question éthique, c'est-à-dire que tu l'as dit, donc tu as la question éthique, entre guillemets, pourquoi on se pose la question dans les milieux, entre guillemets, un peu éveillés à l'écologie, de faire les enfants ou non ? C'est, un, la question « j'ai peur pour leur avenir », ça peut être la question « est-ce que j'ai envie de mettre au monde des gens qui… »
Voilà, ça, elle est très individuelle.
Et puis, tu as la question écologique et mon enfant va consommer beaucoup de ressources, et donc le geste écolo, l'ultime, c'est de ne pas faire l'enfant. Et tu dis dans ton livre que 24% des Français sont influencés par le réchauffement climatique, la cause écologique de manière générale, dans leur décision d'avoir ou non des enfants. Et il y a 40% des jeunes qui se posent la question d'avoir ou pas des enfants pour raisons écologiques. Donc toi, tu as réponse à ça. In fine, pareil, c'est que ce n'est pas vraiment le sujet. Pareil, c'est secondaire. C'est pas zéro, c'est un choix respectable, ça n'a pas un impact nul. Secondaire parce que c'est trop long terme par rapport aux problématiques actuelles et que... C'est long terme et que voilà, que l'impact dépendra de leur mode de vie. Et pareil, on revient sur cette question de moyenne, il n'y a pas d'enfant moyen. Le mode de vie et la culture de cet enfant, on en est largement responsable en tant que parent et voilà, on a les clients main.
Ok, voilà, on a répondu à la question. Alors qu'est ce qu'on fait de tout ça ? De ce constat auquel tu es arrivé, que la démographie finalement n'est peut-être pas le sujet le plus important quand on parle de cette trajectoire qui est la nôtre et qui peut être inquiétante au niveau des ressources etc. C'est quoi ? On repolitise le sujet par rapport à la notion d'inégalité, par rapport à la notion de... Comment tu poses le sujet toi ?
C'est ce que j'ai essayé de faire, c'est-à-dire de rediriger justement les questions et les inquiétudes qui peuvent survenir là-dessus vers d'autres questions qui sont plus profondes. Et quand je reviens sur les limites par exemple du scénario Thanos où on divise la population par deux, c'est en fait là qu'on voit les grands sujets. Et ces grands sujets, on les connaît, pourquoi est-ce qu'on n'y arrive pas ? Et c'est là que se posent les questions, et c'est là qu'on voit aussi que c'est compliqué, et que c'est pour ça qu'on n'y arrive pas, et qu'issue cette solution un peu simple de réduire la population, ou encore plus simpliste on va dire, de réduire la population en Afrique, parce qu'on l'entend, Nicolas Sarkozy qui va vous dire, le grand problème de l'écologie c'est la natalité en Afrique, et c'est sûr que c'est du miel dans les oreilles de gens qui n'ont rien envie de changer sur leur mode de vie, leur participation au monde économique, leur vision du monde, etc. Et donc je pense que ces gens-là ne les changeront pas de toute façon, parce qu'ils n'ont trop à y perdre, et que le changement se fera contre eux, et que par contre tous les gens qui peuvent se poser des questions là-dessus et être un peu, on va dire, perdus dans ce sujet, qui trouvent beaucoup un toboggan des idées écolos vers les idées d'extrême droite, parce que très souvent on arrive à ça, on arrive à cette question de la peur de la population en Afrique, la peur de l'appel d'air, de l'immigration, etc., l'idée de se dire qu'on va être un peu dans ce monde non coopératif où justement on a chacun sa capacité de charge, son coin, et qu'il va falloir défendre contre celui du voisin, et facilement ça amène vers ces idées là.
Et donc à la place j'essaie de les rediriger vers d'autres questions qui sont ouvertes et qui essayent d'aller vers un monde qui soit plus intéressant, mais c'est vrai qu'on a constamment ces questions de coopération et de compétition qui reviennent, c'est d'ailleurs une des grandes publications sur ce sujet, c'est la tragédie des biens communs. Alors c'est un terme qui est assez courant en sciences sociales, qu'on utilise pour désigner les situations où tout le monde a intérêt à bénéficier d'un bien commun, mais du coup personne, enfin tout le monde, en abuse, et l'environnement est un exemple parfait de tragédie du bien commun. Et donc cette publication de tragédie du bien commun par Garrett Hardin, qui était un biologiste lui aussi, est en fait un pamphlet malthusien disant qu'avoir un enfant, c'est profiter du bien commun, c'est exploiter le bien commun. Et que du coup, c'est l'infliger à la terre et le faire consommer, et donc qu'il faut le limiter pour cette raison-là. Et d'ailleurs, un peu plus tard, il précise sa pensée avec ce qu'il appelle l'éthique des bateaux de sauvetage, disant que les riches sont déjà sur le bateau et que si on veut éviter que ça coule, il faut empêcher les pauvres de monter dessus.
D'accord
Attention, c'est un scénario vers lequel on peut se diriger, et je pense que c'est le scénario vers lequel on peut se diriger si on ne fait pas attention à la manière dont on on applique l'écologie, on applique des règles écologiques, c'est ce qui va se passer. C'est que les plus riches qui sont les plus puissants garderont les principaux bénéfices et feront peser les poids le plus élevés sur les autres. On voit la difficulté qu'on a à restreindre l'utilisation des jets privés, récemment ça a été discuté et on va demander de faire des petits gestes de l'autre côté.
Est-ce que tu as deux livres, dernière question, à lire absolument, que tu conseilles de lire absolument, qui toi ont changé ta vie ? Pas forcément sur ces sujets-là, c'est une espèce d'ouverture générale sur notre époque, de livres qui t'ont particulièrement marqué
Alors j'en vois un qui est le plus devoyé pour l'altruisme de Mathieu Ricard, qui est justement sur cette question d'altruisme, de coopération, etc., et qui est énorme, tout à fait, qui est trop long, qui est trop long, disons-le, il aurait dû faire une version courte, avec moins d'exemple, mais bref, mais c'est quand même passionnant, et qui dit que non seulement les gens altruistes rendent le monde meilleur, mais en plus ils sont plus heureux. Et qu'on aurait tous à gagner justement à coopérer. Ce qui est, je trouve, une question fondamentale sur ce sujet de l'écologie. On a toujours cette tentation de se dire il faut tirer la couverture de notre côté, les dernières ressources… Alors ça c'est le livre 1, livre 2... Est-ce que je vois un livre qui se rapproche ? Je n'ai rien en tête, je préfère ne pas tirer de l'esprit.
Tu pourras me le donner après, je le rajouterai sur la newsletter.
Très bien.
Est-ce qu'on a oublié de parler de quelque chose d'essentiel dans les sujets qui te préoccupent, ou on a tout couvert ?
Écoute, non, je pense qu'on en a couvert une bonne partie. Si on peut dire un truc qui est intéressant, c'est que j'ai été un peu frustré d'écrire un livre grand public là-dessus, et du coup je suis en train de préparer une thèse sur l'évaluation des liens population-environnement.
À paraître dans cinq ou six ans, donc ?
À paraître dans trois ans, parce que c'est une thèse et donc c'est bloqué à 3 ans. Il y a une deadline. Mais voilà, je pense qu'il y a encore beaucoup de choses à faire sur ce sujet, et qu'il y a beaucoup de choses à faire sur le plan de la recherche à publier, parce que c'est pas que du débat public, c'est aussi du débat scientifique qui doit être avancé là-dessus.
Merci beaucoup Emmanuel.
De rien, merci à toi.
A bientôt.