top of page

#121. La technique comme solution ? - AURÉLIEN BARRAU & PABLO SERVIGNE

Table ronde enregistrée lors du festival “Livres en Marches” autour du péril écologique et du rôle que pourrait ou non jouer la technique pour y remédier.






Voici un épisode un peu particulier puisqu’il a été produit dans le cadre d’un évènement, en l’occurence le salon Livres en Marche où j’ai été invité en tant qu’auteur pour promouvoir mon livre, mais aussi en tant que conférencier.

J’ai eu le plaisir d’interroger Aurélien Barrau, astrophysicien bien connu du grand public notamment pour ses positions particulièrement aiguisées sur l’urgence écologique et notre incapacité à la prendre réellement et sérieusement en compte, et Pablo Servigne auteur de plusieurs ouvrage dont le best seller “Comment tout peut s’effondrer”, sortie en 2015 et co-écrit avec Rapael Stevens”, qui a été un accélérateur de prise de conscience pour des milliers de personnes en France. e.

Le thème de cette table ronde était Des solutions techniques ? Et puis quoi encore !

On parle donc de technologie en tant que structure qui pèse sur le monde et sur le paradigme de crise écologique systémique, on questionne la place de la science et on élargit finalement assez rapidement sur d’autres sujets.



Interview enregistrée le 1er octobre 2023




Transcript de l'épisode (généré par IA, désolé pour les imprécisions)


[0:00]Voici un épisode un peu particulier, puisqu'il a été produit dans le cadre d'un événement,en l'occurrence le salon Livre En Marche, où j'ai été invité en tant qu'auteurpour promouvoir mon livre, mais aussi en tant que conférencier.

Et cet enregistrement a été fait en public, et dans les conditions du direct, comme on dit,ce qui explique que le son ne soit pas tout à fait comme d'habitude, mais c'est finalement pas très important.

J'ai eu le plaisir d'interroger Aurélien Barrault, astrophysicien bien connu du grand public,notamment pour ses positions particulièrement aiguisées sur l'urgence écologiqueet notre incapacité à la prendre réellement et sérieusement en compte.

Et Pablo Servigne, auteur de plusieurs ouvrages, dont le best-seller « Comment tout peut s'effondrer »,sorti en 2015 et co-écrit avec Raphaël Stevens,qui a été un accélérateur de prise de conscience pour des milliers de personnes en France.

2015, c'est d'ailleurs l'année où j'ai commencé moi-même à ouvrir tous ces sujets systémiques,et ça fait quelques temps qu'avec Pablo on se tourne un peu autour,je suis donc ravi d'avoir pu le rencontrer,et nous prolongerons d'ailleurs sûrement la conversation dans un autre épisode dans quelques mois.

Le thème de cette table ronde était « des solutions techniques » et puis quoi encore ?

On parle donc de technologie en tant que structure qui pèse sur le monde, et sur le paradigmede crise écologique systémique en général, on questionne la place de la science, et onénergie finalement assez rapidement sur d'autres sujets.


[1:12]Comme toujours, vous pouvez vous rendre sur sismic.fr pour creuser un peu plus tout ça,et j'en profite pour remercier une nouvelle fois les donatrices et les donateurs qui mepermettent de continuer à faire ce podcast.

Merci si vous venez de nous rejoindre, et merci à ceux qui continuent de me soutenirchaque mois.

Je remercie aussi Livre En Marche pour l'opportunité, et vous invite à vous intéresser à ce salonqui se déroulent chaque année près de Chambéry et qui rassemblent de nombreux auteurs etautrices dont le travail vous intéresse à coup sûr, donc c'était pas pour cette fois,mais ça sera peut-être pour l'année prochaine. Voilà, merci, bonne écoute.

Je sais pas si vous êtes au courant, mais le monde il vous attend pas. Le monde il bouge.Et il bouge vite.



[1:47]Music.



[2:10]D'animer cette table ronde d'hommes blancs de 40 ans,donc de vieux d'après la définition de Gaspard Koenig tout à l'heure.

Ça nous rappelle le 20e siècle.Ça nous rappelle le 20e siècle, exactement.

Et donc, on va essayer évidemment de composer,de parler du monde avec nos regards propres,avec nos lunettes particulières, filtrantes,comme j'aime introduire les choses.

Je vais commencer directement par mettre les pieds dans le plan.

On ne va pas vous présenter le sujet par une question autour du sujet.

Le technosolutionnisme est-il une solution raisonnable ?


Le gag de la conversation simulée par l'IA

Bonjour, merci.Et bonjour Pablo, c'est toujours un plaisir de discuter avec toi.

Tu sais, j'entends de plus en plus parler de technosolutionnismecomme solution aux crises actuelles.

Qu'en penses-tu ?


[2:59]Bonjour Aurélien, le plaisir est partagé.A vrai dire, je suis assez sceptique.

Le technosolutionnisme,Cette idée que la technologie seule pourrait nous sortir de la crise écologique, c'est ça, non ?

C'est exact, Pablo !C'est l'idée que nous pourrions, par exemple, aspirer le CO2 de l'atmosphèreou encore développer de nouvelles formes d'énergie qui remplaceraient les énergies fossiles, vois-tu ?

Oui, bien sûr, la technologie a un rôle à jouer, on est d'accord.

Mais je pense qu'il est quand même dangereux de la considérer comme une panacée.

Et cela nous évite surtout de faire face à la véritable origine de la crise, notremode de vie, notre système économique, notre rapport à la nature, ces choses que nousne pouvons pas simplement réparer avec des nouvelles solutions techniques.

Je suis tout à fait d'accord Pablo, le technosolutionnisme peut finalement n'être qu'une nouvelleforme de digne, c'est une manière de croire que nous pouvons continuer notre mode de vieactuel sans avoir à faire face aux conséquences.

Mais la réalité, c'est que notre planète a des limiteset que nous ne pouvons pas, Pablo, les dépasser indéfiniment.

Et c'est précisément là où réside le danger.


[4:15]Le technosolutionniste peut donner l'illusion d'une absence de limites,d'une fuite en avant possible grâce à la technologie.

Et il occulte la nécessité de repenser nos modes de vie, notre économie,nos valeurs.

Pablo, je trouve que tu dis un peu de la merde.


[4:35]J'allais dire la même chose de toi.On est d'accord.Donc ce petit texte.



[4:43]C'est déjà fini, vous n'avez rien préparé d'autre.Voilà donc ce petit texte qu'on vient de vous lire a été écrit par Chet GPT,auquel Pablo a demandé de simuler une conversation entre lui et moi.Oui.

Oui.Oui.Oui.Donc on a fait ce petit gag pour suggérer, enfin en ce qui me concerne en tout cas, Pabloet Julien diront ce qu'ils en pensent, en ce qui me concerne, c'était pour suggérerun petit peu que c'est non seulement insipide, mais c'est même un peu grave en réalité.

Parce que le problème de ces agents conversationnels et de tout l'environnement d'intelligence artificielle qui se trouve autour,qui, cela dit en passant, d'ailleurs, n'a absolument rien d'intelligent,c'est précisément une violation du socle du langage.

Parce que le langage, ce qui le définit, c'est sa référentialité.

Vous voyez, les mots, d'une part, ils ont une référence au réel.


[5:40]Il y a un verbe.Référence au réel.Chaque GPT n'a pas de concept de réalité, de vérité.

Donc, pas de référence au réel.

Le deuxième socle du langage, c'est la référence au locuteur ou à la locutrice, c'est-à-dire que quand je dis un mot,j'engage une chaîne symbolique, c'est-à-dire que vous savez un peu qui je suis ou pas, vous voyez un peu qui je suis ou pas,et à partir de là, vous construisez un rhizome de signification, ce que bien évidemment ne peut pas avoir un algorithme.

Donc c'est une double violation de l'idiome. Et ce qui est encore plus grave à mon sens, c'est que vous comprenez bien que ces gadgets,fonctionnent par interpolation,entre le déjà créé et le déjà produit. C'est-à-dire que quand une IA vous produit une image de chat, en réalité,elle est simplement en train de trouver une sorte de juste milieu entre deux réelles images de chat. Et ça c'est non seulement.


[6:30]Artistiquementinintéressant, mièvre, pauvre, désuet, mais en plus c'est axiologiquement terrible, parce que ça signifie que vous tuez d'avanceavance toute possibilité de pensée disruptive ou révolutionnaire.

À mon avis.

Introduction: La question de la technique et de la technologie


[6:52]Il faut que je fasse une petite introduction, je crois, parce que j'aurais bien passé une heure à vous regarder en match de tennis comme ça,ça aurait été très confortable pour moi, il va falloir que je pose deux trois questions.

On va reparler du réel, je pense, qu'est-ce que le réel et comment les honneaux réels se confrontent.


[7:07]Mais pour introduire un peu cette question de la technique et de la technologie, il faut se souvenirque c'est depuis qu'on a commencé à inventer des outils et puis surtout depuis que la technique a pris une place énorme dans notre modèle de civilisation,au point qu'évidemment elle est partout et qu'on l'a toujours dans nos mains,elle s'est métamorphosée et maintenant elle devient autre chose dont on ne sait pas trop ce qu'elle va devenir, elle continue d'accélérer.

D'accélérer. Il y a de nombreux penseurs comme Illich, comme Heidegger, comme Latour qui depuisdes décennies se posent la question de savoir qu'est-ce que la technique, comment elle nousemporte, comment elle structure notre vision du monde, est-ce qu'on y échappe ou pas, est-ce qu'ily a un lien fondamental entre ce qui est devenu l'humain depuis qu'il a commencé à créer lesles outils et ce qu'il est aujourd'hui, et avec des conclusions notamment chez cetype de penseurs-là que j'ai cités, qui sont plutôt négatives, qui auraient plutôttendance à dire que finalement la technique nous alienne.

À partir du moment où on ne comprend plus notre outil, à partir du moment où on nesait pas comment les structures technologiques sont faites, on perd en quelque sorte uneforme de notre liberté et une forme de notre capacité à maîtriser notre destin.


[8:23]Et puis face à ça, il y a d'autres penseurs qui sont plutôt positifs avec cette idée de technologie qui l'accompagnent,notamment des penseurs modernes, et qui quelque part...

Ont gagné un petit peu cette bataille des idées, si tant est que la technique soit.


[8:41]Mise en mouvement par des idées philosophiques, ce qui est tout à fait discutable,mais finalement on est là-dedans, on est dans un monde où aujourd'hui la technique est complètement omniprésente,la technique doit être, en tout cas est pensée par rapport à cette problématique,de problèmes planétaires, c'est-à-dire que le premier réflexe va être d'essayer de rajouter une couche de techniques pour résoudre ces problèmes.

Donc c'est une question qui est fondamentalement essentielle et donc on va parler un petit peu de tout ça et puis de l'essayer de la dépasseron ne va pas parler que de techniques et d'intelligence artificielle, etc.

Avec des questions fondamentales qui est comment est-ce qu'elle nous emporte et pourquoi ?

Est-ce qu'on peut y échapper ou est-ce qu'on peut bifurquer ou est-ce qu'on peut s'y,l'utiliser d'une manière différente pourconstruire un monde qui va dans le sens qu'on veut bien ?

Et puis est-ce que finalement ces questions sont vraiment centrales ? Est-ce qu'il ne faut pas les dépasser ?

Voilà un petit peu le cadre de la conversation.Alors des solutions techniques, donc un point d'interrogation.

Julien juste pour t'arrêter, on se donne une petite heure,la proposition, et après on discute une demi-heure tous ensemble, ça vous va ?


[9:43]Ça nous va très bien, on a même un petit timer.Comme ça il y aura plein de questions, gardez vos questions pour la fin, ne montez pas sur scène tout de suite.

Donc comment, alors des solutions techniques pour l'interrogation, donc on voit qu'il y a déjà aussi un parti pris puisqueet encore, on sait qu'on va faire une critique de la technique évidemment,mais comment est-ce que vous comprenez vous cette question ?

Comment est-ce que vous la cadrez ?

Et j'en pose une autre en fait, annexe, qui me paraît centrale,qui est des solutions à quoi en fait ?à quel problème ?


[10:15]Je voulais juste rebondir sur le chat GPT parce qu'il y a quelque chose d'assez fascinantlà-dedans, quand c'est sorti, enfin c'est en train de sortir, ça révolutionne nosmodes de vie, nos modes de création, le métier de l'art, de l'écrivain, etc., donc quelquechose à la fois repoussant et fascinant, mais surtout, ce que je veux dire c'est queça amène un paradoxe, c'est à la fois une pensée, comme tu dis Aurélien, hors-sol,On voit bien le côté qui tourne en boucle et qui est déconnecté de la filiation intellectuelle, etc.

Je ne peux pas citer, mais en même temps, hors sol, mais totalement dans le sol,parce que ces machines sont faites de métal, de cuivre, d'électricité,ont besoin d'une méga machine techno-industrielle énorme qui puise dans les ressources de la Terre.

Donc il y a quelque chose de paradoxal, et une bonne image je trouve de décrire ça,c'est ce qu'Alain Damasio, le romancier, appelle le techno-cocon.

Et nous, les humains modernes, dans nos pays, on vit dans des techno-cocons.

Là, vu que je parle avec un micro, tout à l'heure tu as cité Ilić,Ivalić, ce grand penseur justement de la convivialité, c'est lui qui a inventé le concept de convivialité,c'est-à-dire que les inventions techniques nous libèrent.


[11:45]Par exemple la voiture, le vélo, la voiture, tous les moyens de transport servent à aller plus vite,l'école sert à émanciper,jusqu'à un certain seuil dit de convivialité,au-delà duquel les inventions émancipatrices nous alienent.

Trop d'écoles ça fait des moutons, trop de voitures ça fait des embouteillages, etc.

Et on peut s'appliquer à ça, à tout.

Trop d'intelligence artificielle finalement, tuerait l'intelligence, peu importe.

Et donc ce techno-cocon en fait, on est bien dedans, on est super bien, il nous enlèveparadoxalement aussi notre puissance, et il nous donne du pouvoir.

Avec Google Maps, je suis beaucoup plus à l'aise pour aller vite avec, je sais pas,toutes les applis, on gagne en pouvoir ce qu'on perd en puissance parce que du coup,j'apprends moins à lire les cartes, etc.

Et finalement, on arrive à un technococon de plus en plus puissant qui nous dépasse,nous en tant qu'humains, petits, faibles, organiques, mortels.

On a cette honte promettéenne, finalement, on crée des immensités techniques.


[12:57]Qui nous fascine, et cette honte promettaine, alors là j'invoque aussi, je convoque, je sais pas comment dire,Günther Anders qui a été cité ce matin, merci Camille, un philosophe des catastrophes que j'ai découvert il n'y a pas longtemps,Günther Anders, c'est délicieux de le lire, tellement il est pessimiste, c'est...

Mais merci, il me rend optimiste parce qu'à côté de lui je suis vraiment le plus optimiste de tous.


[13:24]Et c'est une pépite, c'est des joyaux quoi.Et il dit en fait, notre problème c'est que nous n'avons pas assez peur.

Il a étudié l'Holocauste, l'Apocalypse nucléaire,et il a eu une conversation avec le fils d'Eichmannet avec le pilote de l'Enola Gay,qui a balancé la bombe sur Hiroshima.

Et il nous dit, nous n'avons pas assez peur,mais je reviens au mythe prométhéen,c'est qu'il a inventé ce concept de décalage prométhéen.

Et ça, c'est très intéressant, c'est un outil conceptuel qui peut nous servir vraiment à penser notre époque.

C'est-à-dire que le grand problème, selon Anders, c'est le décalage prométhéen,c'est-à-dire qu'on a conçu un système technique tellement beau, fascinant, puissant, énorme,en fait, qui nous dépasse en tant qu'humains.

C'est-à-dire que nous, on est tout petits à côté, tout petits spirituellement, émotionnellement, physiquement,Et ce décalage-là, il est dangereux, il fait qu'un homme,qui va embrasser sa femme le matin ou ses enfants et aller à l'église et tout,comme le pilote de l'Enola Gay au-dessus d'Hiroshima,il appuie sur un bouton et six secondes après, il y a 200 000 morts.

Je vous explique exactement les chiffres.

L'horreur de la technologie qui nous dépasse


[14:41]Et c'est impossible de ressentir ce que ça nous fait, 200 000 morts.

Déjà, un proche meurt, c'est horrible.

Deux personnes de votre famille meurent, c'est absolument abominable.

Dix personnes, un tsunami, c'est...

En fait, on commence, ça nous dépasse.Et donc c'est le fait que la technique nous dépasse, c'est ça l'horreur.


[15:01]C'est le fait que ça amène de la banalité, ça amène des techniciens, des gens déconnectés,dissociés.Je suis un peu long, mais je suis complètement en roue libre là, mais à un moment je vaism'arrêter.On a le temps.

Je vais m'arrêter.Donc moi, il y a une image qui me marque, c'est Wall-E.

Vous savez, le dessin animé, je crois que c'est Pixar, je crois.

Ça, à la fin, Wall-E sont...Je spoile un peu, mais l'humanité est devenue une sorte d'air dans un vaisseau spatialdans l'espace.

Et la planète est ravagée, et elle est sauvée par deux petits robots, Wall-E, qui tombentamoureuses d'un petit robot fait Apple, en fait c'est Mac, PC et Apple, et c'est trèsbeau parce que c'est les robots qui sauvent la planète alors que les humains ils dériventdans l'espace, ils sont gros, ils sont atrophiés du bulbe, atrophiés du corps, et toute laméga-machine, le vaisseau spatial, s'autogère sans les humains.

Et c'est exactement ça, l'expansion totale, radicale du techno-cocon.

Je reviendrai sur les peurs après.Oui, mais de toute façon, il n'y a aucun problème à en être enroulé,c'est ce qu'on s'est dit avant, en fait, qu'on allait s'autoriser aussi,à être dans une forme d'improvisation qui correspond un petit peu d'ailleursaussi à ce que tu viens de dire, c'est-à-dire qu'effectivement,il y a une forme de mise à distance du monde au travers de nos études,donc d'aliénation que ce qu'on ne maîtrise pas.

Je voudrais revenir sur la question de départ, qui est sur la notion de solution.


[16:30]Ce qui est central, parce qu'à chaque fois qu'on va poser ces problèmes-là qui sontles nôtres aujourd'hui, on va chercher des solutions, donc entre autres techniques, à,des problèmes d'une complexité énorme.

Est-ce que tu penses que c'est déjà un sujet sur lequel on doit travailler à déconstruire ?

Oui, bien sûr.Je suis désolé, je suis malade, donc je n'ai pas beaucoup de voix, et je tousse paspas mal.


[16:56]Ok, ok. Alors très bien. En effet, c'est très amusant d'entendre,enfin c'est amusant mais c'est tragique comique en réalité,toutes ces questions sur le solutionnisme.

En réalité, souvent la question se résume, et encore je l'ai conscientisé,à diminuer les émissions de CO2.

En fait, l'hypothèse de base de tout ce qu'on appelle la transition écologique,l'hypothèse non dite, c'est qu'un monde parfait, un monde idéal,c'est un monde où on continuerait exactement pareil en émettant un peu moins de gaz à effet de serre,parce que quand même, on est conscientisé.

Et en fait, ça c'est presque...Alors moi aussi je suis plutôt côté Gunther Anders,c'est-à-dire que je suis plutôt côté ultra-pessimiste sur ce qui va nous arriver,mais ça c'est le seul truc sympa que je vais dire aujourd'hui,peut-être même ce mois-ci d'ailleurs,c'est qu'en réalité, on pourrait gagner sur tous les tableaux en même temps.

C'est-à-dire que si on prend juste le temps de réfléchir trois secondes,on se rend compte que ce sont essentiellement les mêmes mécanismesqui sont à l'origine de la chute de la vie sur Terre,dont le réchauffement climatique n'est qu'un petit aspect, j'insiste, que dans le niveau catastrophique de diminution des populationsanimales actuellement, et même d'ailleurs de diminution de l'espérance de vie humaine,le réchauffement climatique ne joue jusqu'alors essentiellement aucun rôle. Donc on n'émettrait pas un gramme de CO2, on serait quand même.

Le réchauffement climatique n'est qu'un aspect de l'effondrement de la vie sur Terre


[18:13]À l'aube de la sixième extinction massive. Donc c'est très étrange d'un point de vue rationnel factuel,cette surfocalisation sur le climat. Mais donc, disais-je, ce qui est assez amusant, c'est que si ondéjoue un peu et qu'on regarde globalement l'affaissement de la vie sur Terre, ce qui n'estpas exactement un détail, on se rend compte donc que les causes sont quasiment les mêmes quel'affaissement du sens, du bonheur, de la créativité et de ce que Pablo appelleraitjustement la puissance d'être. Si vous voulez, prenons l'exemple de l'intelligence artificielle.

La question sincère, c'est au-delà du gadget. Est-ce que nous souhaitons ? Parce que voilà,L'intelligence artificielle, et peut-être mon ami Romain Couillet d'ailleurs est dansla salle, il a écrit ça très bien, a des externalités négatives catastrophiques.


[18:57]En termes de néocolonialisme, en termes de dévastation des espaces naturels,en termes de perte de lien avec les non-humains, en termes d'émission de gaz à effet de serre,en termes d'extraction de matières premières, en termes de dévastation des réserves naturelles,essentiellement des pays d'Afrique dans lesquels on enterre toutes les saloperiesqui sont les externalités secondaires de ces choses-là.

Tout ça est parfaitement exact, il faut le dénoncer.


[19:19]Mais on pourrait peut-être aussi se poser une question un peu plus fondamentale,A savoir, quand bien même toutes ces externalités seraient miraculeusement effacées ?

Je vous le dis tout de suite, ce n'est pas possible, mais c'est une expérience de pensée.


[19:32]Quand bien même nous pourrions le faire ?Est-ce que nous souhaiterions vivre dans un monde où nous aurions des publicités ciblées,choisies pour décupler nos addictions,où nos polices d'assurance seraient calculées par des algorithmes objectivantle fait que si votre papa a eu un cancer, vous paieriez beaucoup plus cherparce que votre probabilité objective de crevetteau est légèrement plus élevée,dans un monde où nos amants et nos amis seront choisis par des machines,dans un monde finalement où il n'y a plus d'excursions, d'inouïs, d'errances,d'inattendus, de bifurcations, de failles,bref, de ce qui fait même la définition de l'existence.

Existence, ça veut dire extraction.Exister, ça veut dire par définition ne pas suivre le flux inertiel.

L'intelligence artificielle, par essence, par construction,quelle que soit la puissance des processeurs, est inertielle.

Et donc, ce que je veux simplement dire, qui est extrêmement simple, presque trivial,c'est qu'en réalité, on n'a même pas besoin de regarder à quel point cette saloperie est en train de flinguerla planète, les pauvres gens dans les pays du Sud et les animaux.

Il suffit de voir que c'est de toute façon insouhaitable pour nous.

Mais il semble que nous ayons atteint un niveau d'ensorcellement.


[20:51]C'est même plus de l'endoctrinement à ce moment là, c'est de l'ensorcellement où la question n'est pas même mise sur la table.

Et en effet sur les pas de Anders et de Pablo, on pourrait effectivement supposer,Catherine Thomas a aussi très bien théorisé cela, qu'en réalité la technique a dans une certaine mesure pris son autonomie.

Alors bien sûr on n'est pas encore exactement dans Terminator, c'est à dire que c'est sous notre contrôle,mais ce sont quand même indéniablement des machines qui construisent des machines,des programmes qui conçoivent des programmes.

Le développement cancéreux de la technologie


[21:23]Et je crois que c'est un développement de type cancéreux.Pour m'amuser, j'ai appelé ça le promettum.

Et si c'est effectivement correct, il y a beaucoup de leçons à en tirer.

Parce que la médecine nous a appris que la vision éthiologique est nécessaire.

C'est-à-dire des causes.

On ne peut pas se contenter de la vision symptomatique.

Pour le dire simplement, la réanimation, ça peut vous sauver, mais ça ne peut pas vous soigner.

Et donc, il faut prendre un peu de recul, il faut comprendre que les thérapies doivent être ciblées,qu'elles doivent être nombreuses, qu'elles ne peuvent être que systémiques,c'est la grande leçon de Galien concernant les cancers,et surtout qu'il faut travailler ce qu'on appelle la victoire.

Et c'est ça qui est fondamental, travailler ce qu'on appelle la victoire.

Autrement dit, je crois que la question en effet du solutionnisme technique,il ne faut même pas la contrer en disant ça ne va pas marcher.


[22:18]Pourtant c'est vrai que ça ne va pas marcher, ils n'y arriveront pas.

Mais c'est encore plus grave que ça, c'est combien même ça marcherait, ça serait quand même une grosse bouse.


[22:27]C'est ça mon hypothèse.Alors tu as mis le doigt sur quelque chose moi qui me frappe qui est que quand on parleen fait, de cette question de solutions en creux derrière.

On parle souvent du climat.


[22:48]C'est une manière qu'on a, et d'ailleurs quand on parle d'écologie, on l'a remarqué souvent,on le ramène à la question climatique, et le mot même crise climatique a remplacé presque crise écologique,y compris dans les milieux écolos.

Et ce qui est intéressant aussi de noter pourquoi ça arrive, c'est parce que finalement,c'est une manière de simplifier un sujet hyper complexe pour pouvoir y répondre.

Parfois, mais il y a une expression qui est assez rigolote qu'on entend parfois, c'est que finalement,s'il n'y a pas de solution, il n'y a pas de problème.

Et donc on aime bien d'abord essayer de se dire qu'il y a une solution et après on va cadrer le problèmeparce qu'on a trouvé une solution qui pourrait répondre.Donc typiquement à la crise climatique, on dit que c'est associé à une crise énergétique.

On a virtuellement une solution technique qui va pouvoir nous permettre de faire cette transition, encore discutable.

Mais voilà, ça permet de réduire la complexité des choses.

Et donc quand on parle de solution, souvent il y a ça qui est derrière.

Comme tu l'as dit, on résoudrait ce problème-là,et il y en a d'autres qu'on ne résout pas,voire on continuerait d'accentuer le problème.


[23:52]On a eu cette discussion tout à l'heureautour de l'idée de complexité, justement,et je voudrais qu'on développe là-dessusparce que ça me paraît extrêmement intéressant.

Aujourd'hui, la technique nous sert à...est efficace, en fait, pour résoudre des problèmes compliqués.

C'est un peu l'approche d'un ingénieur.

Qu'est-ce qui se passequand on a un problème qui est totalement systémique, extrêmement complexe,On n'arrive même pas à vraiment définir les termes.


[24:22]Ouais, merci de poser cette question-là, ça me permet de me rendre compte que toutà l'heure je suis parti dans un embranchement de pensée, que j'ai pas fini mes trucs,mais je vais les finir tout à l'heure.

Ça tombe bien, vous aviez raté le début.

Complexe, ça veut dire tissé, ça veut dire qui est complexus, qui est tissé ensemble.

Et en fait, une différence très facile pour comprendre, enfin, pour comprendre la différencetrès facilement entre un système compliqué et un système complexe.

Prenons un moteur, un moteur c'est hyper compliqué, vous pouvez pas, il marche pas, il est en,panne et vous, vous comprenez rien.

Donc vous appelez un ingénieur, il va vous démonter le moteur, puis il déplace, ilva le remonter, il va trouver une solution, problème, solution, ingénieur, ça marche,c'est compliqué, mais ça marche, ok ? Si vous prenez madame par exemple, vous,Vous démontez, madame, là, tous les organes.

Désolé, c'est pas contre vous.

Et c'est pour la pédagogie, vous comprenez ?Et vous remontez, madame, vous appelez un biologiste,ça va pas marcher.


[25:30]Madame est un système complexe.On n'est plus dans l'ordre de problème-solution.

Et même les experts, ça marche pas.Pourquoi ? Parce que la vie, comme dit Aurélien, c'est un phénomène émergent.

C'est pas parce qu'on comprend le foie, les os, les yeux, le cœur, le poumon,Et chaque neurone, on peut comprendre la pensée et qu'on va pouvoir prédire le comportement ou le caractère de madame.


[25:57]C'est pareil pour une forêt, quand elle brûle, c'est un système complexe la forêt.

Quand elle s'effondre ou elle brûle, on peut refaire une forêt, mais c'est pas la même.

C'est pas comme le moteur, c'est un système complexe.Et ça, c'est fondamental parce que ça nous montre qu'on n'a pas assez de mots en fait.

Problème-solution, ça marche pas.

L'approche problème-solution ne fonctionne plus dans la complexité


[26:18]Par exemple, la mort,est-ce que c'est un problème, la mort ?

Les maladies génétiques, le diabètede type 1, je dis souvent cet exemple,on pourrait se dire, en français, on n'a pasassez de mots, donc on dit c'est un problème,il faut trouver des solutions. En fait,les anglais, ils ont un autre mot, ils disentc'est un predicament, c'est pas unproblème, il n'y a pas de solution.

Entre les maladies génétiques,on peut...

Et la mort, on peut apprendre à vivre avec.Ça veut pas dire qu'il faut rien faire,ça veut dire qu'il faut apprendre à bien vivre avec.

Et donc l'approche problème-solution-ingénieur-expert,elle marche plus trop.

Ça devient autre chose.Et là, je continue le raisonnement, c'est-à-dire que vous être...

Ça, c'est aussi un outil conceptuel qui peut vous aider vachement.

J'aime bien donner des outils,les déclics de compréhension que j'ai eus, j'aime bien les partager.

Là ?


[27:15]Ce que j'ai compris, c'est que quand vous êtes au laboratoire,vous avez un physicien, il contrôle tout, et c'est vraiment...

Enfin, c'est ce que fait Aurélien, donc on contrôle tout.Enfin, tes collègues physiciens, ils contrôlent tous les paramètres,et ils essayent de tester une hypothèse expérimentalement, tac, tac, tac.

C'est un problème, il y a une solution.C'est simple, c'est un système simple.

Du coup, dans la vie réelle, c'est beaucoup plus complexe que ça.

C'est même un moment compliqué, puis complexe, puis chaotique.

À un moment, on ne peut plus rien maîtriser, il y a trop de paramètres.

Et en fait, quand on augmente la complexité d'un systèmeet quand on augmente les enjeux,par exemple l'enjeu d'une petite expérience au laboratoireversus l'enjeu du changement climatique, le dérèglement climatique,ça implique tellement de monde, tellement de morts potentielles,tellement d'acteurs,qu'enjeu énorme, complexité énorme, on sort du domaine de la science expérimentale, classique ou de la science problème-solution.

Et nous, notre problème, pour le coup, c'est qu'on applique ce solutionnisme à des systèmes qui sont...

Il y a trop d'enjeux, trop de complexité.

Par exemple, le changement climatique.Qui doit décider l'objectif du nombre de degrés de réchauffement à l'horizon 2050 ?


[28:41]Qui doit décider ? Les scientifiques ? Les politiques ? Vous ?

Vous voyez l'absurdité de demander à des techniciens ou des scientifiques de direquelle est la solution ? Non, ça implique tout le monde.

Donc ça implique des solutions forcément, des chemins forcément politiqueset même plus que politique, éthique, spirituel.

On sort du cadre de la stricte science.Donc, c'est cette ouverture qui m'intéresse.

C'est-à-dire que la technique amène un système politique avec elle.

Et on ne peut pas juste penser les choses avec la science.Et derrière, je vais ouvrir sur une autre...

Faire une ouverture, parce que derrière il y a aussi la notion deréduction du réel, d'obsession de l'efficacité,cette idée que tout doit être compté, etc.Mais tu as prononcé le mot science et évoqué aussi le métier d'aurélien.

Je sais que c'est un sujet sur lequel tu as beaucoup réfléchi,tu vas sortir un livre là-dessus.

Est-ce qu'on peut étendre justement à ce paradigme en faitde la raison et du logos qui sous-tend des développementsqui est le nôtre depuis quelques siècles.


[29:52]Et on entend souvent aussi une critique de la science, notamment quand on pose ces questions-là,on va se dire justement que le problème c'est que la science a dévié de sa route,ou que finalement on essaie de tout découper, tout mesurer, etc.

Ça fait partie des critiques qu'on peut entendre et qu'il faut lâcher en quelque sorte une partie de ce projet.

Critique de la raison et de la science constructivement


[30:14]Comment est-ce que tu réponds à ça, à ces critiques qu'on entend parfois,Et est-ce qu'on peut avoir un point de vue critique de la raison et de la sciencequi soit constructif par rapport à ce qu'on vient de dire ?

Oui, pas mesuré, parce que moi les points de vue mesurés, ça me gave.

Le temps est passé de la mesure.Vous savez le gnangnan là,« Ah mais la science, elle n'est pas intrinsèquement mauvaise,c'est l'usage qu'on en fait qui est mauvais. »Bon, ça va bien ça.

Ça c'est les excuses pour continuer, comme si tout allait bien.

Je suis très content que tu aies mentionné Logos.

Vous savez, nous sommes tous ici, les fils et filles de Logos,cette invention géniale de la Grèce antique il y a quelques 2500 ans.

C'est un concept extraordinairequi est à la fois un principe de commencement et de commandement.

C'est à la fois le langage et la rationalité.

Et je crois que Logos, c'est à la fois le joyau et le fléau de l'Occident.


[31:13]Le joyau parce que tout ce qui fonctionne ici,les caméras, les micros, les télés, dont on pourrait se passer.

D'ailleurs, j'ai toujours pas compris pourquoi il y avait deux grandes télésavec rien dessus, mais bon, c'est un détail.


[31:22]Tout ça est fils et fille.Non, non, mais la critique est aisée.

En vrai, peut-être qu'il y a d'autres orateurs qui utilisent des slides.

Et donc, voilà, c'est facile de se moquer.

Je ne veux pas le faire.Mais sérieusement, tout ce qui fonctionne ici.


[31:35]Est effectivement fils et fille de Logos.

Et on est assez souvent content que ça fonctionne.Et je suis content que mes enfants aient bénéficié d'IRM et de scanner.

Quand ils étaient blessés. Très bien. Mais en contrepoint de cette victoire étincelante,Logos c'est aussi notre fléau. Parce que je crois que c'est là qu'ont été éradiqués,invisibilisés, oubliés, toutes les autres manières possibles d'habiter le monde. Et ellessont incroyablement nombreuses. En ce qui me concerne, la réflexion la plus scandaleuse quej'entende, je vais pas mâcher mes mots, je la trouve scélérate et raciste. C'est celle quiconsiste à dire oui oui oui oui vous avez raison ça va mal mais après tout qu'est-ce qu'on pourraitfaire d'autre ? Qu'est-ce que vous voulez ? C'est en nous, l'homme il est comme ça, l'humain il estet comme ça.

Alors ça c'est dégueulasse, parce que d'abord c'est faux, et deuxièmement c'est effectivement et hontément raciste.

Pourquoi ? Parce que c'est précisément oublié les innombrables autres civilisations qui ont habité cette planète.


[32:42]Et qui ne partageaient pas notre passion exclusive du Logos dans cette dichotomie dramatique de la nature et de la culture.

Lisé d'Escola, nous sommes vraisemblablement la seule et unique civilisation de toute l'histoireà avoir osé inventer cette monstruosité, qui est d'ailleurs scientifiquement fausse,mais qui est surtout éthiquement dramatique,à savoir un mur sans porosité entre nous et tous les autres.


[33:11]Donc nous ne nous demandons pas ce qu'on peut faire d'autre, il suffit de regarder ailleurs.

Nous ne sommes pas encore, nous j'entends l'occident capitaliste contemporain,Nous ne sommes pas encore les seuls habitants de cette planèteet nous n'avons pas encore totalement perdu la mémoirede toutes celles et ceux qui nous ont proposé tant d'alternatives.

Je reviens rapidement à ce qu'on a dit juste avant.La science, je crois, est sur la brèche.

Elle est sur la brèche parce que d'un certain point de vue, et c'est vrai,elle est complice du désastre.

Je le dis en tant que scientifique.Tous mes collègues vont me détester. C'est pas grave.

C'est vrai, la science produit des outils qui, globalement, jouent dans le sens de la corroboration systémique.

Qu'on le veuille ou non, peut-être à son corps défendant, mais ça c'est un fait.


[34:02]Mais en parallèle, la science est aussi un lieu particulièrement adapté aux révolutions,c'est-à-dire au renouvellement complet de l'ontologie, de l'être fondamental de ce qui nous entoure.

Et donc, ce que je veux dire là, c'est pas une sorte de juste milieu un peu cucu,du genre la science n'est ni toute bonne, ni toute mauvaise. En fait, elle est ce qu'on en fait.

Et par conséquent, on est en situation de responsabilité extrême.

Vous voyez, l'exemple des moteurs qu'a donné Pablo, il est très bien.

Savez-vous, j'ai piqué ça à Laurent Castaigned, savez-vous par combien a été divisée la consommation d'une voiture en 80 ans ?

Moi si on m'avait demandé ça j'aurais dit que c'était divisé par 4 ou 5, grâce évidemment au progrès ingénérique quant à l'efficacité.

Vous savez quelle est la réponse ?

Ça n'a pas été divisée.


[34:48]C'est la même valeur qu'il y a 80 ans, parce que oui les molteurs sont plus efficaces mais les voitures sont cinq fois plus lourdes.

Donc à la fin on n'a rien gagné.

Ça, c'est le niveau souci d'ingénieur pour se rendre compte que l'astuce techno ne marche pas.

C'est le niveau 1 de la réflexion.

Mais le niveau 2, qui est celui que j'aimerais nous ayons aujourd'hui,il consiste à se dire, mais quand bien même on aurait effectivement divisé par 4l'émission de CO2 ou d'essence ou de tout ce qu'on veut,enfin si elle émet de l'essence, elle ne va pas rouler, mais enfin bon, de gaz de combustion, des voitures,quand bien même on aurait fait ça, ça ne résout rien.

Parce que le problème du tourisme, ce ne sont pas les émissions de CO2 de nos moyens de transport.

Le problème du tourisme, c'est le tourisme en tant que tel.

Ce sont tous ces lieux que nous maculons par notre seule présence,c'est ce rapport consumériste à l'ailleurs, c'est cette façon de vouloir consommer de l'exotisme.

Tant qu'on reste dans cette logique, à mon avis, c'est échec et mat.

Le décalage prométhéen et le rapport aux autres cultures


[35:44]Je voulais rebondir sur le rapport au peuple premier et aux autres cultures en fait,et ça me permet de revenir sur le décalage prométhéen.

En fait, moi je suis à moitié colombien, et ça faisait 30 ans que je n'étais pas allé en Colombie,et j'y suis retourné cette année, justement avec cette question de...

À des peuples premiers, comment on fait nous qui sommes perdus ?

Je dis nous, le moderne blanc occidental, et je m'inclus complètement là-dedans,comment on fait pour soigner la terre en fait ?

Déjà ils disent la terre mère, la mère terre, la madre tierra.

Et en fait ils disent, vous les petits frères, ce qu'ils nous appellent les petits frères,les hermanitos, on vous attend en fait, ils nous attendent, on n'a rien compris,donc il a rien compris, il fait des conneries, vous, votre problème c'est que vous êtesdénombriler. Ils ont cette belle expression, vous avez perdu le lien à la mer.


[36:57]Et on attend que vous vous renombriliez.C'est beau.

On est hors sol, c'est ce que je disais tout à l'heure.On est hors sol avec notre techno cocon.

On est bien dans notre techno cocon,mais finalement on est comme Bip Bip et le Coyote,vous savez quand Bip Bip il arrive au-dessus de la falaise,le Coyote,et puis il y a deux secondes,il fait « Oh oh »« Piu ! »Ces deux secondes-là, c'est nous.

On est bien dans un techno cocon,on ne sent pas la souffrance du monde,on ne la ressent plus,on pourrait,Mais en fait, on est déconnectés à cause de notre techno-coconqui nous maintient hors sol et qui bouffe le sol en plus.

Et donc c'est ça, ce renom brilé, c'est retrouver le sensible,c'est retrouver la poésie.

Mais comment on fait ?Comment on enlève notre carapace ?

On étouffe-faible, nous les blancs, pour survivre dans la forêt, pour...

Donc c'est dur d'enlever le techno-cocon.Elle est là, la lutte. Elle est là, la créativité.

Comment on fait ensemble pour se défaire de cette armure hyper toxique ?

Et étant nous-mêmes désensibilisés, c'est ça que j'aime bien aussi et ça me permet de revenir à la peur.

Tout à l'heure je lui ai dit que je reviendrai sur la peur.

On ne pourra pas tout dire aujourd'hui, il faut vraiment faire le deuil, j'ai plein de trucs à dire, mais voilà, c'est pas grave.

Les ingénieurs, le décalage promethien, je reviens à ça.

Comment on peut fabriquer un humain, pour le coup souvent un homme,qui tue 200.000 personnes en quelques secondes.


[38:23]En le désensibilisant.Comment on fabrique un militaire ?En fait, le patriarcat, c'est quoi ?

C'est l'héritage de la fabrique des soldats.

Comment on fabrique un soldat ?On prend les petits garçons, pas les petites filles,enfin maintenant ça change,et quand ils arrivent à l'adolescence,on les empêche de ressentir, d'avoir accès à leur intériorité.

On leur permet juste d'exprimer de la colère,et encore, s'ils la confondent avec la violence.

Parce qu'il n'y a rien à voir.Et donc, arrivée adulte, les femmes, elles ont été élevées dans le...

Bah...

Le soin, la fragilité, la douceur, les émotions, tout ce que vous voulez.

Donc elles ont une agilité à aller dans leur intériorité.Elles comprennent ce que c'est que le lien, l'amour, tout ça.

La fabrique des soldats et l'absurdité des ingénieurs dissociés


[39:09]L'homme, il n'a aucune idée.Enfin, moi je suis homme scientifique.

Je pars de loin.et à l'école et chez moi, on m'a jamais appris,on n'a jamais prononcé le mot émotion.

Je sais pas, jusqu'à il y a dix ans, je savais pas ce que c'était.

Donc quand moi, il y avait ma copine, elle me disait« Eh, faut qu'on parle de notre couple. ».


[39:31]Je savais que j'allais perdre la discussionet je savais que je comprenais rien du tout.

Donc les hommes n'ont pas accès à l'amour,ils n'ont pas accès à leur intériorité.

C'est la fabrique des soldats.Pourquoi ? Parce que pour faire un soldat,il faut le défaire de l'empathie.Et nous, on est câblés les humains pour ça.

On est des animaux ultra-empathiques.

Et c'est hyper dur de tuer quelqu'un.Si vous voulez l'entraîner à tuer, c'est soit les psychopathes qui arrivent, soit les militaires ultra-entraînés.

Vous savez que la majorité, la très grande majorité des militaires sur le terrain, ils tirent ailleurs ou ils tirent pas.

Ils veulent pas tuer en fait. C'est instinctif. C'est très dur de tuer.

Donc, pourquoi je dis ça ?

Parce que les ingénieurs, le décalage promethéen, pour moi les ingénieurs, les fabricants, les constructeurs de la méga-machine,pour reprendre les termes de Lewis Mumford, dans la filiation Illich, Schumacher, Core, tous les critiques de la technique,Mumford il parle de la méga-machine, ce techno-cocon, pour fabriquer un missile, une centrale nucléaire, une bombe atomique,mais il faut être complètement dissocié de son corps.


[40:37]On ne peut pas ressentir les choses,on ne peut pas être nombrilé au monde, à la terre-mer,et fabriquer ça, ce n'est pas possible.

Il faut faire des soldats.Les soldats de la méga-machine, c'est des ingénieurs.

Je dis ça, je me permets, je suis ingénieur aussi,et je pars de loin.

Et donc, on a cette absurdité que les ingénieurs,des gens dissociés, c'est-à-dire qui n'ont plus accès...

Moi, je suis polytraumatisé, je me permets aussi de parler comme ça,parce que j'ai fait depuis deux ans une thérapie sur les peurset j'ai appris beaucoup de choses sur mon corps, et j'ai appris que j'étais totalement dissocié.

Et peut-être c'est pour ça que j'ai parlé de collapsologie, et que ça fait 10 ans, 15 ans que je me coltine des publications scientifiques abominables,parce que je sentais moins les choses. Maintenant je sens et c'est hyper dur. Un peu plus en tout cas.

Et donc, j'ai perdu... Si les ingénieurs font ce techno-cocon, fabriquent, en étant dissociés.

Mais du coup, on se retrouve avec un environnementavec plein de centrales nucléaires, plein de missiles,plein de militaires au pouvoir, des gens qui ont le bouton atomique.

Et comment on vit bien là-dedans ?L'éco-anxiété, elle est complètement normale.

C'est même ridicule de ressentir l'éco-anxiété.

On n'a pas assez peur, dit Gunther Anders.

Si vous êtes vraiment connecté à vous-même, à la vie, à la Terre-mer,c'est hyper dur.Et donc, on a besoin de se dissocier pour bien vivre dans notre monde.

C'est comme ça qu'il se perpétue le techno-cocoon.

Alors je vais réagir à ça.


[42:02]Vous pouvez applaudir, bien sûr.

La dissociation entre l'homme et la nature


[42:08]Ça me fait rebondir en fait sur l'idée de structure et pour en revenir aussi un peu à la difficulté qu'on a aujourd'huipar rapport à tout ce qui nous emporte. C'est à dire que.


[42:17]Effectivement il y a une réflexion sur le rapport presque physique, spirituel au monde, la dissociation qu'on peut avoir avec,la nature etc. Ce qui pose la question aussi de dans quel réel est-ce qu'on vit, qui est une question intéressante.

Mais on a un sujet aujourd'hui quand même qui est queSi on veut se dissocier et faire ce travail-là, on est confronté à la structure au quotidien,c'est-à-dire qu'on a tout ça avec nous tout le temps, de plus en plus,donc on n'échappe pas à ce technium, à cette structure technologique omniprésentequi nous conditionne depuis tout petit, et de même que les ingénieurs doivent fonctionnerdans un cadre avec des règles auxquelles on ne peut pas échapper,c'est vrai pour l'économie, c'est vrai pour les politiques, tout un tas de choses.

Mais ça pose la question de, une fois qu'on a dit ça, une fois qu'on a fait la critique,de ce qui nous emportait et du fait que ça ne pouvait pas y avoir de solution à un problèmeaussi complexe en continuant à faire de la même manière, qu'est-ce qu'on fait de çaen fait ? Comment est-ce qu'on peut, est-ce qu'il est possible de faire dévier cettetrajectoire ? Est-ce qu'on est condamné à faire des réponses type plan Marshall,ça a été annoncé, un plan Marshall pour l'écologie avec une rhétorique guerrière,avec tout un tas de métaphores guerrières qui comparent souvent notre cause à ce qui nousarrivait à la Seconde Guerre mondiale, les logiques de résistants, etc. Alors que c'estun sujet encore plus complexe.


[43:43]Est-ce qu'il y a une bonne science, une mauvaise sciencequi puisse nous donner un espoir qu'en continuant dans cette direction on va quand même s'en sortir ou voilà ?

Aurélien donne-nous de l'espoir.Donne-nous de l'espoir.


[43:58]Je vais peut-être inviter quelqu'un d'autre.J'ai littéralement failli pleurer, j'ai trouvé ça hyper émouvant ce que tu as dit sur les soldats qui tirent à côté, je ne savais pas.

Et je trouve ça incroyable, et rien que pour ça on a bien fait de venir, enfin moi je trouve que savoir ça, ça valait le coup d'être là, merci.

Ceci étant dit, alors je ne sais pas comment séparer le bon grain de l'ivraie, c'est-à-dire la bonne science de la mauvaise science.


[44:27]Ce dont je suis à peu près certain, en revanche, c'est que la bonne science, ce n'est pas celle qui consisterait à direva tous se reconvertir en ingénieurs de la décarbonation, on arrête de se poser desquestions fondamentales sans aucun intérêt et on essaye d'améliorer l'efficacitéénergétique des bâtiments.

Ça, je suis absolument certain que ce n'est pas ce qu'il faut faire.

Je n'ai pas naturellement de critères magiques et fiables, mais il me semble qu'il existequand même un régulateur pas trop inept et qui est assez facile en réalité à mettreplace, qui marche pour la science, qui marche pour l'ingénierie, qui marche pour la technologie,et qui consiste en fait à se demander non pas, surtout pas, quel est le bilan carbonede mon invention, parce que je vous rappelle que quand bien même la bombe atomique d'Hiroshimaaurait été faite en matériaux bio équitables et conçus avec des éoliennes, à la finles gens seraient morts pareil, donc c'est pas super important le bilan thermique tantqu'on balance des bombes sur des gens, ce qu'on fait en ce moment, j'entendsgens au sens général, j'inclus les non-humains, donc c'est pas ça, c'est pas ça qu'ilfaire, ça c'est sûr. Donc qu'est-ce qu'il faut faire ? Moi il me semble qu'on pourrait se poserune question toute simple. Ce que je suis en train de produire, de créer, de proposer, de travailler.

La science et l'innovation doivent proposer une autre voie


[45:42]A-t-il plutôt tendance à corroborer l'ordre établi ou a-t-il plutôt tendance à proposer un peu d'ailleurs ?

– Sous-titrage par Le Crayon d'oreille-dragon –,Une voie d'extraction, quelle qu'elle soit, qui pourrait être pire d'ailleurs que le monde actuel, ça c'est vrai.

Mais la seule certitude, c'est que continuer tel que nous le faisons n'a aucun sens.

Et je le dis bien, pas seulement aucun sens parce que le climat se réchauffe et que les animaux meurentet que bientôt les humains, même dans les pays riches, vont commencer à mourir,mais même aucun sens parce que ça ne nous rend pas heureux.

Parce que comme le dit Jean Covici, on a chacun mille esclaves énergétiques et néanmoins on travaille de plus en plus. Mais c'est débile !

L'intérêt d'avoir des esclaves c'est d'arrêter de bosser. Nous on a des esclaves et on bosse de plus en plus. Ça n'a absolument aucun sens !


[46:26]Et donc voilà, moi je crois qu'on fasse de la science ou autre chose en fait. Quoi qu'on fasse.

Est-ce qu'on se dit quand même si je réussis mon truc,j'aurais un peu amélioré les valeurs des variables et j'aurais permis à un système d'être un peu plus efficace,auquel cas je crois qu'avec un peu de recul on joue à contre, on joue pour la fin du monde,ou est-ce qu'au contraire, on peut pas en être sûr d'avance, mais où est-ce que j'ai une chanceque ce que je fais aujourd'hui soit plutôt dans le sens d'une rupture, d'une révolution, d'unesaccade, d'un blocage, et ce blocage bien sûr peut rebondir sur un nouveau saut. Et je trouveque ce régulateur, il n'est pas infaillible, mais il nous dit quelque chose de ce verrou,nous pourrions nous pourrions regarder. Et en fait, pour commenter sur ce que disait Pablo,c'est vrai que c'est incroyable, quoi, de se dire qu'on a réussi à transformer un être humain,qui est probablement par ailleurs très sympathique d'ailleurs, qui était sans doute un bon père defamille à appuyer sur un bouton et à tuer cent mille personnes.

Je voulais juste quand même aussi nous rappeler en parallèle de ça, que même si nous ne sommes pas les pilotes de Enola Gay,nous tous quand même dans cette pièce, les occidentaux contemporains,nous participons à la civilisation la plus violente de toute l'histoire.


[47:43]Et que cette violence, mais bien sûr Pablo le sait, c'est pas lui que je dis ça, mais c'est à nous,cette violence ne s'incarne pas seulement dans les guerres, voilà.


[47:53]Et je pense qu'il faut absolument quand même qu'on comprenne que, en réalité, notre nonchalance,parce que la plupart d'entre nous ici n'a jamais été en prison, n'a jamais cassé la gueule à personne,n'a encore moins sorti un flingue, et néanmoins, notre nonchalance est une ultra-violence.

Aucune civilisation dans l'histoire n'a été aussi meurtrière quant à la biosphère que la nôtre,aujourd'hui, ici, en Occident, dans les pays riches.

Ce qui d'ailleurs pourrait amener, je cite mon amoureux,enfin moi je l'aime et lui il sait pas que je l'aime,c'est Jean Genet, le poète,il est mort,mais même s'il n'était pas mort, je pense qu'il s'en foutrait royalement,et donc Jean Genet disait qu'il fallait distinguer la violence de la brutalité.

La violence c'est une arme en fait extrêmement légitime en réalité.

La brutalité c'est autre chose,la brutalité c'est la machine vraiment de corroboration et d'écrasement systémique.

Et donc la question de savoir s'il faut utiliser, user de violences contre la brutalité,je n'ai pas de réponse, mais ce n'est absolument pas une question inepte,ce n'est pas une question fondamentalement incorrecte à mon avis.

D'ailleurs, tu as parlé du nucléaire, c'est le sujet qui fâche.

Moi j'aime bien en parler parce que comme je ne suis ni politique ni instagrammeur,je n'ai aucun problème à me fâcher avec les gens,et donc ça ne me dérange pas de me faire des ennemis.

Le nucléaire c'est le truc, vous savez, le nucléaire c'est comme le voile, on se fait forcément des ennemis quoi.

Politiques paniqués par des robes traditionnelles Touareg


[49:20]Oui le voile c'est bizarre quand même là, c'est la fin du monde mais vraiment ce qui a paniqué nos politiques à la rentrée c'estque des jeunes filles portent des robes traditionnelles Touareg.

C'est vrai que c'était vraiment le gros problème de ce temps.


[49:32]Alors, sur le nucléaire, moi je voudrais juste dire un truc, c'est, vous m'avez pasposé la question, mais tant pis, si tu m'avais posé la question, qu'est-ce que tu pensesdu nucléaire ? Merci beaucoup de m'avoir posé cette question et j'aimerais y répondreje m'en fous.

Voilà.C'est vraiment la réponse que je voudrais donner parce qu'on peut diaboliser le nucléairepour de très bonnes raisons, parce que d'abord il y a des déchets à longue durée de vie,ensuite parce qu'il y a une connivence nécessaire, enfin nécessaire, presque toujours vraieentre nucléaire civil et nucléaire militaire, tout ça ce sont des problèmes énormes.

On peut au contraire angéliser le nucléaire en disant« ouais ouais, toujours est-il qu'aujourd'hui, par kilowattheure produite,ça tue moins que, par exemple, l'énergie,enfin que pratiquement toutes les autres énergies, à dire vrai. »Ce qui est vrai aussi, ça.

Mais c'est même pas la question.On s'en fout.

Aujourd'hui, on utilise l'énergie pour transformer cette planète en déchet.

On utilise l'énergie pour raser les forêts et faire des parkings de supermarchés.

On utilise l'énergie pour niquer les fonds marins.

Qu'est-ce qu'on s'en fout en fait que l'énergie vienne d'une centrale nucléaire, d'une éolienne ou du fioul ?

Ça ne change pas grand chose.

Donc ne cherchons pas d'énergie propre.


[50:38]C'est juste pas la question.La seule question importante, c'est comment utilise-t-on l'énergie ?

Qu'est-ce qu'on fait avec l'énergie ?

Tant qu'on fait avec l'énergie ce qu'on fait en ce moment, à mon avis,je le dis avec beaucoup d'autorité, mais en fait je suis hyper en doutepar rapport à tout ce que j'assène là, comme si j'étais sûr de moi.

Donc c'est pas vrai du tout, en fait j'en sais rien,mais je crois que c'est la seule question importante,c'est qu'est-ce qu'on en fait ?

Et bon, pour finir, peut-être je suis trop long là,il avait commencé un peu en mode logoréïqueet maintenant ça m'a décomplexé pour faire pire que lui.C'est sa faute ?

Oui, c'est de sa faute.

Toute est la faute de Pablo, c'est un théorème chez moi.Mais je l'aime beaucoup.

Voilà, alors c'est donc, que faire en fait ?C'est la question de Lénine, que faire ?

Donc on se la pose dans les moments un peu graves.

C'est vrai que la plupart d'entre nous ne sont pas des révolutionnaires.

Moi j'ai pas d'AK-47 dans le coffre de ma voiture, d'ailleurs j'ai pas de voiture,mais en fait on n'est pas non plus prêts à aller élever des chèvres dans le Larzac,d'ailleurs il n'y a pas de chèvres pour tout le monde, donc on peut pas faire ça.


[51:37]Mais en revanche on peut peut-être, enfin moi il me semble que, normalement je suis pas dutout un comique, je sais pas ce qui se passe, en plus je suis malade, j'ai chaud à entrer,et on parle de la fin du monde, non c'est l'effet Pablo moi je crois, et non non maissérieusement allez faut arrêter ces conneries, non sérieusement je crois que ne pas optimiserc'est déjà résisté. Voilà juste ça. Ne pas optimiser, optimiser au sens maximiser, ne pasmaximiser c'est déjà résisté. Vous vous rendez compte que quoi qu'on fasse, y compris chez lesscientifiques fondamentaux, là je parle de mon boulot, le mot d'ordre c'est optimiser l'impact.

Chez les instagramers évidemment, mais pas seulement chez les influenceurs. Même si vousfaites de la physique théorique sur un truc dont tout le monde se fout comme moi, l'évaporationde Tronc Noir en espace courbe, on attend de vous de maximiser votre impact.


[52:22]C'est démentiel. C'est exactement ce qu'il ne faudrait pas faire, maximiser son impact.

Donc il me semble, à toute petite échelle, comme ça c'est un peu cucu, mais,le premier petit geste de résistance, c'est déjà ça quoi, de sortir de la logique de maximisation.


[52:35]Merci.Alors il y a une petite dizaine de points sur lesquels tu voulais réagir, je crois.

Ouais, ça te réussit la fièvre ?

Alors, justement, j'ai découvert il n'y a pas longtemps un penseur que je ne connaissais pas,enfin j'ai découvert trop tard, c'est Hartmut Rosa, un penseur allemand, philosophe,qui a pensé l'accélération, tu parlais de maximiser l'accélération,publier, publier pour les scientifiques.

En fait, contre l'accélération du monde, de notre monde social, de notre monde technique,du PIB, de toujours plus d'énergie pour la croissance, tout ça, tout accélère.

Et on se retrouve à suivre le mouvement.

Se remettre en résonance avec notre intériorité et les autres humains


[53:19]Notre méga-machine qui accélère nous aliene maintenant.Et quand on demandait à Arnaud de Rosa,qu'est-ce qu'on fait contre l'accélération ?

Il n'a pas dit des croissances, etc.On pourrait en parler d'ailleurs, c'est un super point.

Mais il a dit non.Et il a développé un nouveau concept, c'est la résonance.

Quoi la résonance ?C'est que peut-être qu'il faut accélérer à certains moments,peut-être qu'il faut ralentir, on ne sait pas,ça dépend de l'environnement, ça dépend de quoi on parle,mais ce qui compte c'est se remettre en résonance avec là où on est.

Moi ça me fait penser au peuple premier en fait,c'est remettons-nous en résonance avec notre intériorité,avec les autres humains,et donc effectivement il y a un effet de désobéissance,de sortir de la mégamèche, de ne pas nuire.

D'abord ne pas nuire, c'est hyper dur.

Il faut apprendre collectivement à se couper les fils,Nous, on est comme des pantins, comme ça, la méga-machine nous tient.


[54:16]Evidemment l'horizon de libération c'est qu'on se coupe les fils et qu'on s'émancipe, c'est libératoire.Et comment on fait ?

Si on le fait tout seul, moi si j'ai plus de téléphone, bagnole, carte bleue, de techno-cocon dans les semaines qui viennent, d'aller au supermarché,en fait je ne suis pas autonome en nourriture chez moi, je meurs assez vite.

Donc on peut le faire que collectivement.

Collectivement on se retrouve des degrés d'autonomie, et collectivement on coupe un fil et on se célèbre.

Et il y a toute une démarche collective, c'est forcément collectif.

Face à un techno-cocon ou une méga-machine qui est de plus en plus violent,merci d'avoir apporté le mot violence, c'est hyper violent.

Si la violence c'est, la définition la plus commune c'est...

C'est là une force...Je crois que t'es déjà...

Non, non, mais c'est connu, aidez-moi, aidez-moi.C'est quand...

En physique tu veux dire ?Non mais vous savez dans la police, elle fait usage proportionné de la force.

Usage disproportionné de la force.


[55:20]Légitime ?Ouais on est dans le proportion pour l'instant.Légitime c'est encore autre chose, mais pourquoi pas ?

Parce que là justement dans la désobéissance civile, la résistance,il y a de la légitimité, mais là juste disproportionné.

On a besoin de force, mais quand c'est disproportionné,bah ça devient violent, on n'est plus en phase, on n'est plus en résonance justement.

Mais en fait cette méga-machine elle est ultra violente, ultra violente.

Complètement, on doit être, encore une fois, dissocié pour vivre avec.

Je termine pour... il y avait un autre truc...Ah oui c'est Ilich, j'avais ouvert une parenthèse avec Ilich tout à l'heure avec le micro.


[55:58]Et le micro, vous savez qu'Ivan Ilić, donc il est mort en 2002,à une des dernières apparitions, c'était à Paris à l'UNESCO,il a lancé le... ce colloque a lancé le mouvement de la décroissance.

Ilić, c'est vraiment délicieux, il faut relire Ilić, penseur du seuil de convivialité,et sur la fin de sa vie en fait, il pensait même plus, il utilisait plus de micro,c'est pour ça que je suis très gêné du style micro,Il disait ça dépasse le seuil de convivialité.

La limite de convivialité et des logiques qui nous dépassent


[56:28]Ouais, au fond de la salle, je vous sens plus, je vous vois plus.

Je sais pas si vous riez vraiment.

En fait, elle est là, la limite de convivialité, elle est là.


[56:37]Et donc c'est très intéressant de voir que maintenant on est pris,même nous en fait, dans des logiques qui nous dépassent.

Et sortir de ça, c'est toute une culture.Là où je voulais juste terminer pour bondir sur ce que disait Aurélien,c'est que quand on pense à un système technique,je m'en fous du nucléaire, je comprends, mais en même temps le nucléaire, ça amène une vision du mondeet une vision technocratique, une vision étatique, une vision militaro-industrielle,et on peut pas les dépareiller.

Comment on distingue une bonne d'une mauvaise technique ? C'est comme les chasseurs.

La bonne technique... Non mais c'est dur...

J'ai oublié ton critère.En tout cas, moi, le critère...Ah oui, c'est l'énergie.

Le bon critère pour moi, c'est qu'une technique...


[57:31]Nous rend plus sensibles, plus humains, et il y en a, plus de liens sociaux,et pas une technique qui oblige à avoir un état central militarisé,où on doit aller exploiter des mines d'uranium, où on ne sait pas quoi faire des déchets,tout ça c'est plus humain, on n'a plus le contrôle, c'est antidémocratique l'énergie nucléaire.

Chez le nucléaire, mais il y en a d'autres. Les éoliennes énormes qui font 60 mètres d'eau,mais comment on pourra les réparer en collectif citoyen, autogéré, démocratique ?

Donc vous voyez, il y a la technique qui rend plus humain, et il y en a.

Il ne s'agit pas d'être contre ou pour la technique, mais c'est juste de quelle technique voulons-nous ?

Conviviale. C'est là qu'ILICH est intéressant.

On a une dernière question, après on va passer aux questions que vous avez.

Ça passe vite en fait.On va sortir un petit peu du sujet.

On fait le constat qu'il y a cette méga-machine qui a été citée plusieurs fois,qui nous dépasse, qui nous emporte,et qui conditionne les possibles aussi aujourd'hui.

Donc c'est très difficile de ne pas la prendre en compte.C'est là aussi que les différents réels se confrontent.

Le réel du désastre écologique qui se passe et puis il y a le réel dans lequel on estpris nous tous au quotidien, avec lequel on doit composer, qui est fait de plein dechoses.


[58:59]Face à ça, et on voit qu'il y a un constat d'impuissance aussi d'une certaine manière,comment vous gérez ça émotionnellement ? Où est-ce que vous en êtes individuellementface à ce mouvement comme ça qui a l'air de nous emporter et qu'on critique mais quiqui continue d'avancer.

La difficulté de se réassocier à son corps et au cœur


[59:20]Je suis désolé, moi je réponds pas à ça.Tu peux.

Moi j'ai un peu répondu à ça, mais c'est hyper dur.Moi je trouve ça de plus en plus dur que j'essaye de me réassocier à mon corps et au cœur,et au vivant, c'est hyper dur.


[59:42]Il y a plein de manières d'aller de l'avant.Moi je voulais aborder plein de trucs, les low tech, mais peut-être il y aura des questions.

Et aussi les manières de combattre, et ça touche ta question, comment on combat la méga-machine ?

Il y a eu toute une tradition de lutte anti-technique, par exemple les luddites,des collectifs, quand il y a eu les métiers à tisser, tous les artisans du textile,enfin pas tous mais certains, se sont regroupés et ont fait de l'action directe,sont allés casser les machines, c'est le mouvement luddite.

Il y a eu une répression immense, évidemment, contre eux,puisque le capitalisme naissant dans l'Angleterre victorienne, dans ce XIXe siècle industriel,il menaçait ce progrès, il menaçait aussi l'accaparement.

Et la mégamachine, c'est ce mélange de prédation et d'accumulation.

C'est cette convergence entre le mouvement commercial,Christophe Colomb, c'est ça, c'est le commerce lié au militaire, à l'état, à la religion.

C'est ça la méga-machine, elle a 500 ans, c'est hyper profond en nous.

Mais les luddites, quand on lit les textes luddites, c'est assez beau, ils cassaientdes machines.


[1:01:00]Mais ils ne cassaient pas pour casser, ils cassaient pour maintenir le lien social, c'était des luttes sociales, familiales, c'est comme comment on maintient en Afrique aussi,on arrive avec le développement des OGM, le round-up, le tracteur, le tracteur a démonté, défoncé l'agriculture vivrière,parce qu'il était tenu par les femmes, et là le tracteur arrive, c'est tenu par l'homme, et la femme n'a plus rien à faire,et c'est un système technique qui démantèle tout.

Et donc moi, ma question c'est comment on démantèle ?

Comment on est ludites aujourd'hui ?Comment on démantèle la méga-machine ?

Et du coup, ça revient à ce que tu disais aussi Aurélien,je pense qu'on a...

J'arrive pas à m'en foutre,c'est pour ça qu'émotionnellement c'est très difficile,j'arrive pas à ne pas m'impliquer.J'ai envie...


[1:01:50]J'ai des enfants et j'ai envie de prendre soin du monde,c'est-à-dire qu'il y a des centrales nucléaires, par exemple, il y a des missiles qui sont construits, tout ça est là.

Comment on fait au moins pour les démanteler, si pas pour les abandonner ?

Est-ce qu'on arrivera à les démanteler ? C'est même pas sûr.

Mais comment on maintient ça, les déchets nucléaires ? Comment, si on n'arrive pas à les traiter ?

Parce que c'est toujours une promesse de ce hamster qui...

Comment on arrive... Donc il faut quand même des ingénieurs, il faudra des gens dissociés,il faudra que des gens se sacrifient, un peu comme les liquidateurs à Tchernobyl.

Il faudra que des ingénieurs se maintiennent en dissociation,et que nos perchés dans la tête, sans émotion,pour pouvoir au moins maintenir l'habitabilité de la Terre,et que le technococon mourant, et c'est un espoir qui se désagrège,puisse ne pas être trop toxique pour les générations suivantes,pour la forêt à venir, pour les jeunes pousses.

Maintenir l'habitabilité de la Terre malgré la technococon mourant


[1:02:46]Donc on a une vraie question aujourd'hui qui naît,et elle naît dans le débat public, je ne sais pas si vous avez remarqué,C'est la question du démantèlement.


[1:02:54]Démantèlement, philosophique, ingénieur, comment on démantèle ces trucs horribles ?

Donc il y a plein de pistes, comment on est ludite ?

Aujourd'hui il faut être très furtif parce que la violence de l'État,la violence de la méga-machine, la violence de la technique,si vous vous opposez à elle, oh, mais on est défoncé direct.

Comment on fait ? Comment on est ludite aujourd'hui ?Ça pose, ça va être la dernière question,Ça pose la question de l'agir ou du non-agir, on peut l'apprendre différemment,mais que tout le monde se pose quand on écoute quelque chose comme ça,c'est « OK, je fais quoi ? ».

Donc il n'y a pas de réponse universelle, j'imagine.Et toi, quelle est ta réponse, au moins pour toi-même ?

Oui, c'est le génie tragique du système que nous avons élaboré,c'est qu'il parvient à tout ingéreret que finalement presque toutes les postures déconstructrices l'enrichissent.

Imaginez même quelque chose de très radical.Quelqu'un qui aurait des vérités terroristes,qui se dit je vais vraiment faire sauter une installation industrielle avec une bombe.


[1:04:03]En fait il crée de la croissance.

Il va y avoir un pic d'activité dans la presse le lendemain,on va vendre dix fois plus de journaux,il y aura dix fois plus de connexions à tous les sites des revues locales,il va falloir faire venir des maçons pour tout reconstruire,les cliniques privées vont être saturées parce qu'il y aura des blessés,vous allez créer énormément de croissance.

Donc là, vous vous dites, il y a quand même un problème,non pas bien sûr que j'engage à poser des bombes,mais même la preuve, ça joue à contre en réalité.

Presque tout joue à contre.Je déteste parler de moi,c'est pour ça que je n'ai pas répondu à ta question d'avant,mais là, je vais quand même faire une exception.

Je vais sortir dans quelques jours un petit livre qui s'appelle l'hypothèse K,sur le rôle que la science peut jouer par rapport à la catastrophe écologiqueest quelque chose d'aussi anodin, futile, sans importance, sans importance,que la sortie d'un petit livre parmi je sais pas combien de milliers d'autresprend voir le blanc le même jour,c'est très compliqué de ne pas maximiser.

Convaincre l'éditeur que vous ne souhaitez pas en vendre le plus possible.

Oui, vous voudriez bien en vendre un peuparce que vous croyez que ce que vous dites n'est pas totalement inept,donc vous aimeriez bien que ce message ait sa chance,mais que vous ne souhaitez pas maximiser les ventes.

C'est très dur à entendre.Il est sympa l'éditeur, mais c'est dur à entendre.

Après, vous dites,ben oui, mais ne serait-ce que pour qu'on en vende quelques-uns,il faut aller en parler.

Alors vous dites, ben d'accord, une ou deux interviews,mais pas plus.


[1:05:23]Mais c'est inaudible.Il faudrait en faire le maximum possible.

En faire juste un petit peu, c'est inaudible.Et puis alors, quand vous donnez une interview,pour ne pas avoir votre tête en double page quadri,c'est renégociation avec le journal.

Parce qu'on croit qu'on vous fait une fleur en fait, en vous affichant en gros,parce que vous êtes bankable, parce que c'est forcément mélioratif de devenir connu.


[1:05:45]Parce que vous améliorez votre impact. Et là, vous voyez que, quand bien même votre message serait, j'espère que c'est le cas du mien,plutôt mélioratif, plutôt un peu révolutionnaire, plutôt un peu transgressif, en réalité,on attend de vous de le mettre en œuvre d'une manière qui ne peut que corroborer l'organisation systémique dans laquelle vous vous trouvez.

Le retrait comme réponse face aux attentes systémiques


[1:06:04]Et je n'ai pas de meilleure réponse que de dire qu'aujourd'hui, le seul geste, à mon avis,Alors là, peut-être qu'on n'est pas tout à fait d'accord, mais je pense que tu as plus réfléchi que moi à ça, comme à tout le reste.

Donc, j'ai sans doute tort, mais à mon avis, le retrait est encore plus efficace que le démantèlement.

C'est-à-dire faire en sorte que les attentes systémiques, qu'elles soient capitalistes, prédatrices, policières, tout ce qu'on veut,ne puissent plus avoir de prise sur nous.

Je pense que c'est encore plus fort que de développer des carapaces ou de détruire la machine productiviste.

N'en avoir plus besoin en fait. C'est une très belle idée qui a été développée parDenetem Tuambona dans un livre merveilleux qui s'appelle La sagesse des lianes, qui est inspiré des cosmogoniesde la caraïbe, dans laquelle il montre qu'en fait la résistance par rapport au colonialismeesclavagiste a généralement pris la forme de fuites qui sont devenues des fugues, c'est-à-dire créé del'oblique. Ils ne pouvaient pas en fait s'évader les esclaves. Un ou deux pouvaient le faire maismais ils ne pouvaient pas collectivement le faire,ils ne pouvaient pas vaincre les colons.

Et ce qu'ils ont essayé de faire,c'est qu'en fait les attentes des colonsfinissent par ne quasiment plus avoir de prise sur eux.

Je ne sais pas si c'est généralisable,mais il me semble que c'est ce qu'on peut faire de moins mauvais.


[1:07:20]Très beau, oui.

Résistance violente et non-violente chez les peuples indigènes


[1:07:29]Ouais c'est très beau, j'ai réagi 30 secondes en mode point de suspension pour ouvrir la parole,parce qu'à des chamanes en Colombie,il y a des mouvements de résistance entre des...

Enfin, il y a plein de cultures et de peuples indiens différents et il y en a qui résistent et d'autres qui résistent pas.

Et donc, certains prennent des armes contre l'accaparement des terres, l'extractivisme et tout,et d'autres fuient, et ils sont totalement non violents et ils fuient.

Et quand je leur demandais pourquoi vous résistez pas,parce que la résistance ici c'est un imaginaire très positif, très...

En fait ils disent, si on se met à résister, on perd le lien, on se dénombrille.

Ça veut dire que quand on doit faire la guerre parce qu'on nous attaque,et les indiens en Amérique du Nord, ils se sont armés, certains oui, certains non,il y a un sacrifice de certains, ils coupent le lien, ils vont se battre,Mais il y a vraiment l'enjeu de revenir au lien après.

Entrer en résistance, c'est se couper,et c'est entrer en clivage, etc.

Et c'est devenir hors-sol et aller vers la violence et tout.

Donc il y a vraiment cet enjeu-là.

Et c'est totalement ouvert en point de suspension,parce que je ne sais pas où j'en suis par rapport à ça.

Est-ce qu'il faut résister ?Comment ?

Toutes ces questions, elles s'ouvrent, elles sont immenses,elles nous dépassent, parce que, comme le redisait Günther Anders,nous sommes trop petits.


[1:08:49]On va finir là-dessus, on va prendre des questions, mais je veux boucler avec, çam'évoque quelque chose que j'évoque à la fin de mon bouquin d'ailleurs, qui estla Bhagavad Gita.

On fait revenir aussi les vieilles sagesses sur « Agis sans te préoccuper du résultatde ton action », c'est une piste, et l'autre c'est « Celui qui sait voir l'inactiondans l'action et l'action dans l'inaction, celui-là est sage entre les hommes ». C'estpour ouvrir sur cette thématique et on prend vos questions.

Merci beaucoup.

ApplaudissementsMerci beaucoup.

Une éthique de la technique et des machines ?


[1:09:32]Là-bas, il y en a un.Merci messieurs, j'ai une question au panel, est-ce qu'on pourrait imaginer un jour avoirune éthique de la technique ? Philippi Wicks parle de techno-discernement, d'usage et demés-usage, et quand des machines sont élaborées, sont conçues, et bien qu'on puisse avoirpeu comme en amatant une éthique juridique sur les affaires, une éthique de l'utilisation de lamachine avec des citoyens qui peuvent dire cette machine là on va l'utiliser comme si et comme ça,mais certainement pas comme ça. Bonne idée, j'ai rien à dire là dessus je trouve c'est une bonneidée et si vous faites ça bon courage je veux bien un peu aider mais... En même temps les comitéséthique et les charctes de bonne conduite, généralement ça change pas grand chose.

Moi je proposais un terme contre ceux qui nous accusent d'être éco-anxieux,vous pouvez répondre mais vous êtes éco-dissociés.

L'accès au savoir et la science institutionnelle


[1:10:44]Eco-dissociés.Ceux qui n'ont pas peur sont éco-dissociés.

Merci beaucoup, je vais être un peu volontairement provocateur.

On a beaucoup parlé d'Ivan Ilich dans la convivialité,il mentionnait que le secteur le moins convivial aujourd'hui,c'est celui de l'accès au savoir et la production et la diffusion de savoirs,et donc en particulier que la science, au sens institutionnel,donc l'université, les scientifiques, s'approprient l'accès au savoir,de sorte que la masse, donc nous tous et toutes, n'y avons plus accès.


[1:11:26]Et en fait, d'une certaine manière, la situation dans laquelle on est aujourd'hui,on se sent incapable de l'affronter parce que les connaissances appartiennent aux scientifiques,elles sont dans les tours d'ivoire, elles sont chez les sachants,le technosolutionnisme c'est pas nous, enfin c'est pas toi et moi, c'est juste les scientifiques.

Est-ce que le premier mouvement, le premier déraillement, pour reprendre les termes d'Aurélien,Est-ce que le premier déraillement, ça ne devrait pas être de défoncer l'université ?

Que tous les profs se barrent et qu'ils demandent à tous les élèves aussi de sortiret de réaccéder à leurs connaissances eux-mêmes, elles-mêmes,à travers des organisations sociales, de liens au savoir, de reprise des savoirs.

Ça doit être le premier truc qu'on doit faire en tant que prof.Moi, je suis prof.

Donc en tant que prof, j'ai envie de dire à tous mes élèves,mais ne venez pas dans mon cours, recréez vos savoirs et recréez votre monde parce que c'estça la clé de tout quoi. Et je pense qu'on est coincé, on aime vous entendre en fait,mais on ne peut pas agir je pense parce qu'on n'a pas accès au savoir, on n'est pas légitime tantqu'on n'a pas un diplôme, tant qu'on n'a pas acheté cette marchandise comme disait Illich aussi,et je pense qu'il manque ça et peut-être que le premier mouvement révolutionnaire c'est peut-êtrecelui justement de défoncer l'université. Non seulement il est prof, mais il est prof dans ladans la même fac que moi, il fait un cours avec moi, je tiens à lui.

Je suis chaud, moi je veux venir à ton cours.


[1:12:53]Moi je suis sorti de la fac en 2008, donc d'abord ne pas nuire, mais ça va, ça fait 15 ans.

Mais ouais, c'est une bonne...

Et ça me fait juste surbondir, c'est...Vous voyez, quand on augmente les enjeux et la complexité,on a des « wicked problems », disent les Anglais, des problèmes inextricables,comme le changement climatique,Et tu ne peux pas confier ça qu'à des experts, qu'aux sachants, qu'aux techno-spécialistes-experts.

Ce n'est pas possible, il faut que ça soit tout le monde s'en empare.

Donc la verticalité du savoir, elle est ultra toxique.

Et c'est exactement pour ça que ça fait 15 ans que je fais de l'éducation populaire,pour toucher tous les milieux, enfin c'est ça, horizontaliser les savoirs.

Merci d'amener ça, quoi.

Non, moi je ne réponds pas, c'était une proposition, je pense que je te remercie de l'avoir faite,et moi je suis ravi que tu sois là, quoi.et je ne sais pas si c'est étonnable, on en reparlera tous les deux,Mais en tout cas, je te remercie d'exister.

Une question sur la clé de compréhension


[1:13:52]Bonjour, je voulais juste me poser une question assez rapide, c'est un peu une clé de compréhension.

Vous êtes où ?Juste ici.Ah oui, merci.Il faut se lever.

Vous avez terminé votre discussion du coup en mettant un peu en comparaison, entre guillemets,le fait de garder le lien et le fait de résister.

Du coup, je me disais, dans le monde dans lequel on vit actuellement en Occident, est-ceque le fait de garder le lien, c'est pas aussi une certaine façon ? En fait, c'estc'est une façon de résister aussi.

Garder le lien comme une forme de résistance


[1:14:25]Oui complètement, mais là je parlais de résister contre une violence,de s'organiser pour l'autodéfense en fait, pour défendre la vie.

Vous savez qu'il y a trois manières d'agir,enfin c'est en résumé, soit on défend la vie,soit on crée des alternatives,et soit on change de conscience.

Et le piège c'est de dire soit, en fait il faut faire les trois.

Et dans ce mouvement de défendre la vie,À un moment, c'est hyper dur, ça a été dit ce matin, de ne pas prendre les armes, de ne pas un moment s'énerver.

Et comment on s'énerve légitimement, merci monsieur, sans blesser des humains, voilà,la désobéissance civile, il y a toute une culture de la désobéissance civile qui n'est pas assez déployée en France,en tout cas en France, au milieu anglo-saxon c'est un peu plus développé.

Et donc, oui, évidemment, résister, c'est créer, il y a plusieurs formes de résistance,mais là je parlais de la confrontation vraiment, qui peut mener facilement à de la violence.


[1:15:28]Oui, et pour aller dans ce sens, tu vois, c'est vrai que le mot violence même, il faut le travailler.

C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de mots aujourd'hui comme terrorisme, violence, etc.,qui jouent comme des épouvantails, mais en fait, on doit se demander qu'est-ce qui est vraiment violent.

Tu prends une barre de fer, tu casses la vitre d'un McDo, c'est violent, tu peux aller en prison,tu peux avoir un casier judiciaire, etc.

Et c'est vrai, t'as détruit un objet, c'est indéniable.

Mais en même temps, t'es un bon père de famille,t'emmènes tes gamins manger au McDo tous les soirs,ça c'est pas du tout violent, c'est parfaitement autorisé.

Et en réalité, quand tu regardes ce que tu vas faire à leur corps,comment tu vas vraiment dérégler leur système,ce que tu fais aux animaux qui sont dans les hamburgers,ce que tu fais aux employés des restaurantsqui en général ne sont pas super bien traités,ce que tu fais au personnel de ménage,et puis ce que tu fais aussi en termes climatiques,parce que ces animaux viennent souvent de très loin, etc.

Tu peux te demander en fait, qu'est-ce qui est le plus violent ?

C'est de casser la vitre ou c'est d'emmener ses enfants manger là-bas ?

Et du coup, je pense vraiment qu'il faut qu'on travaille ça.

Parce que c'est comme la question de la liberté, tu vois,on peut tous se prendre par la main et se dire, on aime la liberté.

L'ennui, c'est que si notre liberté de jouir un peu du dernier gadget techno zinzinobère notre liberté de vivre,À la fin, la liberté globale n'a peut-être pas vraiment cru.


[1:16:42]Et il me semble que... Bon, ça c'est des banalités ce que je dis, pardon, mais c'est important les mots,parce qu'on est en train de se les faire voler, en fait. On les perd les uns après les autres.

Transition, par exemple, c'était plutôt pas mal, mais maintenant c'est plus possible.

Si tu parles de transition écologique, ça marche plus, le mot est mort.

Donc il faut en permanence qu'on se réajuste à toute cette réappropriation sémantique.


[1:17:05]Et pareil, écoterrorisme, on voit bien qu'en réalité c'est le mot qui est violent, c'est pas le geste.

Enfin peut-être qu'il y a eu quelques gestes violents, condamnables, qui ont été faits, c'est possible.

Mais de façon globale et systémique, c'est le mot qui est violent, c'est pas le geste.

Et de façon beaucoup trop pompeuse et un peu ridicule, j'avais appelé ça un jour l'activisme multifractal,ce qui était un mot grotesque pour dire un truc hyper simple, qui est que je crois aussi qu'à un moment,il faut faire ce qu'on sait faire. C'est-à-dire que la lutte, elle doit être à tous les niveaux, en fait.

Absolument à tous les niveaux. Et je pense que c'est aussi souhaitable de pas forcément s'engager,là où on ne sait pas aller. Je me souviens qu'avec Romain, une fois j'avais été à une réunion et il y avait vraiment cette idéesi vous ne le sentez pas, vous ne le faites pas et je trouve ça pas mal, moi par exemple, j'ai aucun problèmeà voir des chefs d'entreprise en face de moi et leur dire vous êtes des terroristes, messieurs, vous êtes des terroristes.

Je peux faire ça, je ne vibre pas du tout. En revanche, effectivement, aller faire une action un peu musclée dans une usine totale,je n'ai jamais fait, je crois que ça me ferait flipper et je ne me sentirais pas bien en fait. Et donc je crois qu'à un moment,il faut aussi faire ce qu'on sait faire, tant que ça crée de l'ailleurs.

Si on corrobore ce qui est déjà existant, je crois qu'on joue à contre.


Applaudissements
















bottom of page