Une conversation sur la nécessité de dépasser nos préjugés et de changer de regard sur la nature, la science et la connaissance
Dans un monde où les crises environnementales et sanitaires nous confrontent à des défis sans précédent, comment construire une connaissance juste du vivant et du monde qui nous entoure ? Cette question essentielle est au cœur de notre conversation avec Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d'Histoire naturelle et auteur de Nature et préjugés.
Nous explorons ensemble comment nos préjugés, nos cadres culturels et notre tendance à projeter des concepts humains sur la nature obscurcissent notre compréhension des écosystèmes et de leurs dynamiques. Avec une approche mêlant science, observation et vulgarisation, Marc-André Selosse invite à repenser notre relation au vivant et à dépasser les idées reçues. Car si le monde ne nous a pas été livré avec une notice, il reste possible de décoder, morceau par morceau, les clés pour agir en conscience et responsabilité.
Interview enregistrée le 9 septembre 2024
Quoi retenir de l'interview
Notre incompréhension fondamentale de la nature
La nature n'est pas "bien faite" - c'est une vision anthropocentrée qui nous empêche de comprendre ses mécanismes réels
Il n'y a pas d'équilibre parfait dans la nature, mais des dynamiques constantes d'évolution et d'adaptation
Il ne faut pas confondre la beauté de la nature (sentiment esthétique) avec une supposée perfection
Les mécanismes de l'évolution mal compris
L'évolution ne va pas vers toujours plus de complexité - parfois la simplicité est plus adaptative
Toutes les espèces actuelles sont "également évoluées" car elles ont eu le même temps pour évoluer
L'évolution sélectionne ce qui permet d'avoir des descendants, pas ce qui prépare l'avenir
Notre adaptation est toujours celle "d'avant" - nous sommes adaptés aux conditions passées
Notre rapport problématique à l'environnement
Ce n'est pas une "crise environnementale" mais une crise de l'humanité
Nous avons perdu la conscience de notre dépendance aux écosystèmes
La distance moyenne aux zones naturelles ne cesse d'augmenter (16km en France)
Notre activité crée des dommages parfois irréversibles (microplastiques, polluants éternels)
Les défis de la transition écologique
Il ne faut pas parler de "transition" mais "d'évolution" car c'est un processus continu
Chaque solution crée de nouveaux problèmes qu'il faudra résoudre
Les solutions techniques existent souvent déjà (ex: agroécologie) mais les blocages sont sociétaux
Le court-terme est toujours favorisé par rapport au long-terme (tragédie des biens communs)
Le rôle de la science et de la connaissance
La science ne doit pas gouverner mais le monde ne peut être bien gouverné sans science
Il faut décloisonner les disciplines pour mieux comprendre les enjeux systémiques
Les scientifiques doivent mieux communiquer et proposer des solutions, pas seulement des constats
L'éducation scientifique doit être repensée pour permettre une meilleure compréhension des enjeux
L'interdépendance fondamentale
Notre santé dépend directement de celle des écosystèmes (ex: microbiote)
Nos déchets devraient être des ressources (ex: azote et phosphore des urines)
Les solutions doivent intégrer cette interdépendance plutôt que chercher une illusoire autonomie