149. Race, genre, pouvoir : face aux discriminations - ROKHAYA DIALLO
- Julien
- il y a 6 jours
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 5 jours
Féminisme, racisme structurel, intersectionnalité : Rokhaya Diallo expose et défend une autre lecture de la société.
Partie 1
Partie 2
👉Interview aussi disponible en vidéo sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=45wWk4dygtw
Les débats autour du féminisme, de la race, de l’identité ou de la laïcité occupent une place de plus en plus centrale dans nos sociétés. Mais ils sont souvent abordés à chaud, à coups de slogans, dans des logiques de camp qui empêchent toute véritable compréhension.
Et si, au lieu de les esquiver ou de les caricaturer, on prenait le temps d’en explorer les fondements, les tensions, les promesses — et les dérives possibles ?
Dans cette conversation passionnante, Rokhaya Diallo, journaliste, essayiste et figure majeure de l’antiracisme et du féminisme français, nous propose une autre grille de lecture. Une lecture située, incarnée, dérangeante parfois, qui met au jour les angles morts de la République, les héritages coloniaux que la France peine à regarder en face, et les formes d’exclusion que produisent encore nos normes les plus “neutres”.
En s’appuyant sur son Dictionnaire amoureux du féminisme, elle interroge les rapports de pouvoir liés au genre, à la couleur de peau, à la classe sociale ou à la religion. Elle explore des concepts souvent mal compris — comme l’intersectionnalité, le privilège blanc ou le racisme structurel — tout en répondant aux critiques sur l’essentialisation, la polarisation ou les effets pervers de certaines stratégies militantes.
Dans un monde où les démocraties sont de plus en plus fragilisées, où les extrêmes gagnent du terrain, où la peur du “wokisme” devient un outil politique, cette conversation aide à comprendre ce qui se joue. Et à poser, en profondeur, la question du vivre-ensemble : comment construire une société juste, égalitaire, réellement inclusive — sans renoncer au débat, à la nuance, ni au commun ?
Une discussion exigeante, parfois inconfortable, mais nécessaire. Pour comprendre les fractures de notre époque — et peut-être, commencer à les réparer.
Interview enregistrée le 15/04/2025
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Quoi retenir ?
1. Grilles de lecture : race, genre, intersection
Le racisme n’est pas seulement une affaire de comportements individuels, mais un phénomène structurel, intégré aux institutions, aux normes, à l’histoire.
La “race” est une construction sociale sans fondement biologique, mais aux effets bien réels. La nommer, c’est refuser l’effacement du racisme.
La notion de “personne racisée” désigne une assignation sociale, pas une identité choisie. Elle sert à décrire une expérience dans un contexte donné.
L’intersectionnalité permet d’analyser les oppressions multiples (genre, race, classe, religion…) sans les hiérarchiser ni les isoler.
Parler de “privilège blanc” ne signifie pas que tous les Blancs sont favorisés socialement, mais qu’ils ne subissent pas certaines discriminations raciales systémiques.
2. Critiques, tensions et débats
L’universalisme français peut masquer des inégalités bien réelles, en refusant de voir comment les différences produisent des inégalités concrètes.
Le féminisme blanc, souvent dominant, a longtemps invisibilisé d'autres expériences féminines, notamment celles des femmes noires ou musulmanes.
Certaines luttes identitaires peuvent être perçues comme clivantes, mais Rokhaya Diallo défend leur légitimité comme outils de réparation et de vérité.
Elle reconnaît l’existence d’un backlash politique et culturel, mais affirme que ce rejet ne doit pas faire renoncer à la radicalité des luttes justes.
La “cancel culture” est souvent exagérée ou caricaturée, selon elle, pour disqualifier les demandes de justice et de réparation symbolique.
3. Monde, contextes et comparaisons
Le modèle américain de discrimination positive ou de représentation communautaire n’est pas transposable tel quel en France, mais il révèle des angles morts utiles.
Le racisme n’est pas une spécificité occidentale : il existe dans toutes les sociétés, sous des formes variées (Inde, Japon, monde arabe…).
L’écoféminisme relie exploitation des femmes et destruction de la nature, en posant une critique globale des systèmes de domination.
Certaines sociétés musulmanes ont elles-mêmes connu des débats sur le port du voile, ce qui montre que ce n’est pas un “tabou” importé en France. Mais pour Rokhaya Diallo, le problème n’est pas le voile en soi, mais l’obsession française à son sujet, qui traduirait une instrumentalisation raciste et sexiste du principe de laïcité, en visant spécifiquement les femmes musulmanes et en niant leur capacité à faire des choix autonomes.
4. Vers quoi aller ? Des pistes pour le futur
Réaffirmer le rôle de l’éducation, de la représentation et de la mémoire partagée pour construire une société plus égalitaire.
Refuser le repli sur l’identité, mais aussi le déni de l’expérience vécue. Il faut nommer les choses pour mieux les dépasser.
Construire un féminisme inclusif, qui n’exclut pas les hommes, mais interroge les rapports de pouvoir dans toutes les sphères.
Garder le lien entre luttes concrètes (travail, logement, droits) et luttes symboliques (représentation, dignité, récit collectif).
Ne pas opposer le “nous” et le “je” : chercher des ponts entre universalisme et reconnaissance des différences.
Pour s'y retrouver
Concepts clés :
Intersectionnalité : concept développé par Kimberlé Crenshaw qui désigne le croisement des discriminations (genre, race, classe, etc.) vécues par une même personne.
Racisme structurel : forme de racisme intégrée aux institutions, aux normes sociales, aux lois ou aux pratiques, souvent sans intention explicite mais avec des effets systémiques.
Privilège blanc : avantage social implicite dont bénéficient les personnes perçues comme blanches dans des sociétés marquées par une hiérarchie raciale, indépendamment de leur niveau de richesse.
Critical Race Theory (CRT) : courant de pensée né dans les universités américaines, qui analyse la manière dont le racisme est enraciné dans le droit, les institutions et les structures sociales.
Féminisme blanc : critique d’un féminisme qui se concentre sur les expériences des femmes blanches, souvent de classe moyenne, en oubliant les spécificités liées à la race, à la classe ou à la religion.
Adelphité : alternative inclusive à la “sororité”, qui désigne la solidarité entre personnes, sans assignation de genre.
Laïcité instrumentalisée : usage politique du principe de neutralité religieuse pour stigmatiser certaines populations, en particulier les femmes musulmanes portant le voile.
Backlash : retour de bâton contre les avancées sociales, souvent sous forme de polarisation, de montée des extrêmes, ou de rejet du “wokisme”.
Personnes citées ou évoquées :
Yascha Mounk : politologue germano-américain, auteur de The Great Experiment, défenseur d’un universalisme post-racial.
Kimberlé Crenshaw : juriste afro-américaine, pionnière du concept d’intersectionnalité.
Frantz Fanon : penseur de la décolonisation et du racisme structurel.
Rachel Khan : autrice et militante, critique de certaines dérives identitaires.
Kemi Seba : militant panafricaniste, évoqué pour son positionnement critique vis-à-vis de l’Occident.
Contextes et références :
Cancel culture : pratiques de dénonciation et de boycott visant à exclure des personnes ou des œuvres jugées problématiques.
Affaire Mahsa Amini (Iran, 2022) : jeune femme morte après son arrestation pour “mauvais port du voile”, symbole des luttes contre l’imposition vestimentaire.
Port du voile dans le monde : parfois imposé (Iran, Afghanistan), parfois interdit dans les administrations (Turquie, Tunisie), ce qui montre la diversité des positions sur le sujet.
Montée de l’extrême droite : en France, en Europe et aux États-Unis, souvent nourrie par les tensions identitaires et le rejet du progressisme culturel.
Trump 2024 : la dynamique de retour de Donald Trump s’accompagne d’un discours anti-woke très virulent, emblématique du backlash global.